Avant qu’elle pose les pieds sur la scène du concert de rentrée Lalalib à Dijon, on s’est installés en face-à-face avec une Jeanne Added calme, sereine, un peu énigmatique mais surtout méga classe. Un personnage mystérieux et pour autant très chaleureux qui au fil des albums se lâche et affirme son esthétique électro-pop tantôt sensuelle, tantôt sombre et intime.

Tu es plutôt abonnée à Dijon : on t’a vu passer par la Vapeur le 12 novembre 2022, tu reviens pour ce concert de rentrée : J’imagine que tu as des bons souvenirs ici ?

La dernière fois que je suis venue, c’était assez dingue. Ça s’est tellement bien passé que naturellement on est revenus ce soir.

Si on revient en arrière, tu fais tes premiers pas en tant qu’artiste dans le jazz : à quel moment tu passes du Conservatoire national à remporter une Victoire de la Musique pour meilleur album rock ? Petite crise d’ado ?

Oui, petite crise d’ado à 32 ans. Je suis passée d’interprète à artiste-compositrice, donc un moment je travaillais pour plein de gens et je ne faisais pas ma musique mais celle des autres. Une musique qui ne me correspondait pas. Mais j’ai mis du temps à m’en rendre compte.

Un moment précis a fait le déclic ?

Non, c’est juste qu’un moment je sortais invariablement des concerts en ayant envie de crier. Du coup je me suis dit que ça ne pouvait pas continuer comme ça, j’arrivais plus à faire ce qu’on me demandait de faire.

Revenons un peu au présent, ton nouvel album, By Your Side, je trouve qu’il a une énergie différente des autres : quelque chose de plus dansant, de plus sensuel. Y’avait quoi comme motivation derrière ce nouveau disque ?

Cet album a été très laborieux, il m’a vraiment coûté celui-là. Mais je crois que ça ne s’entend pas forcément.

© Camille Vivier

C’est vrai que quand on voit Radiate en 2018, Air en 2020, By Your Side en 2022, donc on se dit que tout tourne assez bien. Mais pas forcément du coup ?

Entre Radiate et maintenant, j’ai énormément bossé. 2 tournées pour Radiate jonglées avec l’écriture et l’enregistrement et le film Air à la sortie du confinement. Et j’ai enchaîné direct à la rentrée avec l’album. Mais ce modèle me correspond bien. J’ai une résistance assez légère à l’oisiveté. Même si j’en ai besoin dans mon rythme de travail, je sais que pour moi, ça ne doit pas durer. Mais là je suis en plein dans la tournée.

Avec le dernier single, Ready Baby, on est aussi sur un titre très ensoleillé ?

Ouais, je l’ai écrit pour jouer sur les festivals.

C’est un endroit que t’aimes particulièrement ?

Ce n’est pas un endroit facile parce que ça veut dire souvent aller jouer devant plein de gens qui ne te connaissent pas et donc il faut aller les chercher, aller à leur rencontre. Et il faut aussi accepter que parfois ce n’est pas toi qu’ils viennent voir. Je fais un drôle de métier où je passe de salles complètes à d’autres où on ne me connait et c’est une sacrée source d’humilité. Parfois, il y a des jeunes au premier rang qui attendent le groupe d’après, donc moi je les vois et il se passe des jolies choses, on partage quelque chose.

J’écris tout, tout m’intéresse. Dans la pop actuelle, les arrangements font partie de la composition. Et j’ai toujours adoré travailler sur le son.

J’ai lu que tu trouvais cet album très introspectif. Dans « Hey Boy » ou « Relax » pourtant tu invoques des personnages, mais on a toujours l’impression que tu te parles avant tout. Il y a tout le temps ces doubles ?

Mes chansons me sont toujours adressées en premier lieu, car je reste mon premier interlocuteur. Et « Relax », c’était vraiment ça : je me dis « souffle un bon coup, ça va aller ». C’est la dernière chanson que j’ai écrite. Je voulais encore quelque chose d’un peu plus léger, pour raconter le chemin dans lequel je suis, qui va du plus tendu, retenu, contrôlé il y a quelques années encore à quelque chose de plus relâché et plus cool. Mais tout ça ne s’est pas fait consciemment. Je ne fais pas un disque en me disant que je vais lâcher telle chose. C’est quand j’ai tout écrit que je me rends compte du vrai sens que ce que je viens de faire, c’est un marqueur d’où j’en suis dans la vie, c’est un bilan. Je laisse la porte ouverte quand j’écris. Je me guide quand même : sur le dernier album, j’ai beaucoup voulu travailler avec les tempos, mais je ne fais pas de concept-album.

© BenPi

Ta musique est aussi très reconnaissable puisqu’elle est un savoureux mélange entre de la parole et des compostions sonores électro-pop. Tu agis sur toutes les étapes de la musique, pas que sur l’écriture ?

J’écris tout, tout m’intéresse. Dans la pop actuelle, les arrangements font partie de la composition. Et j’ai toujours adoré travailler sur le son.

Dans l’évolution de ta musique, avec Air, on a eu un des premiers titres totalement en français, avec By Your Side on a « Au Revoir », qui est je trouve la chanson la plus sombre de l’album. Le français, tu l’utilises pour dire autre chose ?

Ces deux langues me font déjà chanter différemment. Il est vrai que je ne dis pas la même chose, mais mon anglais a aussi beaucoup changé. Le français me permet d’être comprise et j’avais envie de ça, avant je n’avais pas envie d’être comprise aussi littéralement. Mais en ce moment, mon anglais est plus simple, moins mystérieux.

Une autre évolution notable, elle est au niveau visuel. Avec Air tu nous as sorti un film. Avec By Your Side, tu crées un univers qui se répond à travers les clips. Cette direction te tient à cœur ?

En fait, je prends les choses bien moins au sérieux pour me permettre de m’amuser avec l’image, ce que je n’arrivais pas à faire jusque-là. C’est un endroit où je suis pas à l’aise dû à ma formation de musicienne, mais la musique pop permet ça, de faire tout un tas de métiers : être à la musique, aux lumières, aux sons, aux arrangements et maintenant imaginer un univers visuel, ce qui est élément très important dans la musique pop, et je commence enfin à m’en emparer. Et ça me plaît de jouer avec ça.

Texte & Photo en Une : Paul Dufour