Franche et affirmée, Noga Erez déboule sur la scène du VYV Festival à Dijon en juin dernier. Pas de fioritures derrière la rappeuse et popstar israélienne, une batterie et la prod suffira, tant elle pèse. Évoquant sans complexe autant la situation politique de son pays que la situation de sa manucure, on s’est posé avec cette girlboss pour parler musique et cuticules. 

Ta façon de jouer entre le hip-hop, le rap, l’électro me fait évidemment penser à M.I.A. qui est venue sur le festival l’année dernière, c’est une personne à laquelle tu es beaucoup comparée j’imagine : inspiration ?

J’étais bien plus comparée à M.I.A. avec mon premier album, tout le monde me demandait si c’était une grosse influence, et elle l’a été et c’était assez clair dans mon travail à ce moment-là.

Ça va, t’en as pas trop marre qu’on te compare à elle ?

Ils ont arrêté après la sortie de « KIDS », mon deuxième album, qui s’écarte bien plus que ce qu’elle fait. Donc on me le rappelle de moins en moins, mais du coup maintenant que tu me l’as rappelé, j’aime bien, ça m’avait manqué.

Mais j’imagine que tu as bien d’autres inspirations, parce que tu as fait des cover de Lil Nas X, qu’est-ce qui t’inspires chez ces gens ?

Tu peux entendre dans la musique que je fais que je suis inspirée par pleins de choses et pas un seul genre, j’aime tout ce qui est frais et qui n’essaient pas de faire quelque chose qui existe déjà et qui est tendance en ce moment.

Et les chanteurs et chanteuses dont on parle ont aussi une personnalité très rentre dedans et qui ne s’excusent pas pour qui ils/elles sont. T’es un peu comme ça aussi ?

Merci déjà. Non, j’essaie de ne pas m’excuser d’être moi-même. J’ai l’impression que pour tous les artistes que j’aime, on va de Kendrick Lamar à Radiohead, aucun d’entre eux ne rentrent dans le truc pourri des réseaux sociaux. Ils sont juste apparus sans forcer les choses. C’est étrange, parce qu’on est tellement habitués à vouloir connaître toute la personnalité de l’artiste qu’on aime et je crois que je suis pas là-dedans. J’aime bien quand leur personnalité est cool, mais c’est pas capital. Je crois que je dois être old school. Tout ce truc de promo est une grosse partie du travail et il y a des mois je me dis que j’y arrive pas, je ne peux pas être cette personne et je le fais juste pas.

J’ai été très fan de Missy Elliott quand j’étais plus jeune et quand j’ai vu que t’avais un feat avec elle j’ai halluciné. Alors j’imagine même pas pour toi.

J’aurais jamais eu l’audace de demander ce featuring. J’ai grandi avec ses musiques, elle faisait partie de mes premières influences. C’est avec elle que j’ai découvert que les femmes pouvaient rapper et très bien, avec une touche fraîche, elle a ouvert des portes pour moi. Je n’ai jamais rêvé aussi gros et aussi loin. Le feat est arrivé et je crois que je ne comprends toujours pas. Pour moi ça n’a pas de sens. Mais on s’est pas rencontrées, on a travaillé à distance, on a envoyé le noyau de la chanson à son équipe des mois avant d’avoir sa partie. Je me suis dit que c’était mort, je n’étais même pas déçue car pour moi c’était inimaginable. Et un jour, un e-mail avec sa partie. Foutrement pleins d’idées, merveilleuses et on a choisi.

« Le jazz c’est une approche, quand tu touches à la mélodie, aux harmonies mais c’est surtout une approche que j’utilise quand je dois être créative dans ma musique »

Tu le dis, elle t’a fait découvrir que les femmes pouvaient rapper. Tu viens d’Israël, dans ce pays en tant que femme qui rappe avais-tu un espace pour t’exprimer ?

Mon pays doit être à peu près comme tous les autres pays dans le fait qu’on revient de loin par rapport à l’intégration des femmes dans les différents postes de l’industrie de la musique et on a encore un chemin à faire. C’est assez similaire. Après je ne suis pas non plus des US ou de l’Europe, je viens de cet endroit très controversé et bizarre qu’on appelle Israël. C’est comme ça, on a tous des choses avec lesquelles on doit vivre, mais c’est aussi qui je suis.

T’as démarré dans des écoles de jazz, à quel moment tu as shifté vers le hip-hop ?

Je sais pas si j’ai shifté, j’ai l’impression que c’est toujours là, en arrière-plan, j’ai toujours ce que j’ai appris du jazz, pas qu’en tant qu’étudiant en musique mais surtout en tant qu’auditeur. C’est beaucoup de choses, le jazz c’est une approche, quand tu touches à la mélodie, aux harmonies mais c’est surtout une approche que j’utilise quand je dois être créative dans ma musique. Je me demande quand je chante : « comment je peux rendre ça plus jazzy, plus libre, plus original, plus improvisé. » Pour moi la signature du jazz, c’est quand tu as une structure donnée et que tu vas dans des endroits qui ne sont pas prévues à l’avance, c’est toute la magie et pourquoi j’aime cette musique, parce que j’ai été impressionnée par des musiciens qui avaient une sorte de langage entre eux que je ne comprenais pas.

Et tout ça vient du cœur, et tu es un peu comme ça, j’ai lu que pour toi, la musique t’aidais à gérer les problèmes qui te gênaient dans le monde. Qu’est-ce qui te fait rager en ce moment ?

J’ai dit ça y’a très longtemps et je pense qu’en effet je suis chanceuse d’avoir la musique, j’aime pas appeler la musique comme une thérapie parce que la musique est une des causes pour laquelle je dois aller si souvent en thérapie, parce que c’est quelque chose d’hyper stressant pour moi toutes ces questions de carrière, mais les artistes ont la chance de se poser et réfléchir. Et des fois des choses sortent. J’ai eu une fixette sur le fait d’avoir des ongles en acrylique, des ongles très longs. Alors ça me prenait énormément de temps, mais j’étais totalement addict. J’ai écrit « Nails » et j’ai arrêté de faire ces ongles. 

Tu as envisagé le sujet des ongles, mais tu engages aussi des questions plus politiques, comme la situation dans ton pays, notamment en parlant des évènements de 1967, et tu as été souvent incitée à ne pas parler de ton pays. T’as déjà eu des soucis ?

C’est toujours perdant de parler d’Israël. Mes opinions et ce que je pense d’Israël viennent du cœur plus que de l’endroit que je suis née. Quand tu aimes quelque chose ou quelqu’un, tu dois être capable de les critiquer et assumer les conséquences. J’essaie de dire tout ce que je pense, mais je le fais avec amour, parce que les gens d’Israël et même vous devez savoir que si tu passes à Tel Aviv ou en Israël, tu vas rencontrer des gens exceptionnels et veulent juste vivre en paix et j’espère qu’on pourra se voir tous ensemble comme cela.

Propos recueillis par Paul // Photos : © Thomas LAMY