Les Chiens de Navarre, la célèbre compagnie de théâtre déjantée, trash et star des planches françaises, passe à l’Espace des Arts de Chalon pour jouer sa dernière création : La vie est une fête. Un spectacle burlesque, cathartique et un poil extrême, à l’image de la troupe. Pour l’occas’, on a bavardé avec la comédienne Lula Hugot, passée par le théâtre de rue et le cabaret avant de rejoindre la meute des « Chiens ».

Dans ton parcours, t’as toujours été “hors des clous”, je pense par ex à ton travail au cabaret de Madame Arthur. Tu veux en parler un peu ?

Madame Arthur c’est un lieu qui a réouvert à Montmartre à Paris, en 2015, c’est un endroit avec des créatures qui chantent et qui font le show. Quand je suis venue les premières fois, j’étais sur scène avec eux, puis je me suis prêtée au jeu de la direction artistique dans plusieurs spectacles, j’y travaille encore quand je suis dispo. On s’amuse à s’approprier tout l’espace de la salle, on sort de scène, c’est tout l’exercice du cabaret; j’adore ça, j’en fais beaucoup dans ma pratique artistique perso. Le public est fou aussi dans ces lieux-là, très réjouis, très libre, on a beaucoup d’interactions avec et y’a beaucoup d’impro.

Ta pratique artistique, c’est un panel très large : du théâtre au cabaret, en passant par la direction artistique, l’écriture et la mise en scène de Maria Dolores, t’es sur tous les plans au final ?

Oui, Maria Dolores c’est un personnage que je joue depuis longtemps, mon premier double, j’avais 22/23 ans quand j’ai écrit mon premier spectacle. J’y allie la musique, le chant, et des moments de beauté qui sont toujours cassés par les propos. Maria c’est une diva un peu cinglée, très burlesque, très clownesque. C’est un perso complètement zinzin qui dit ce qu’il veut, je sors beaucoup de mes gonds. J’ai commencé dans le théâtre de rue, c’est très sauvage : tu vois les gens qui partent, arrivent, un bébé qui pleure, un chien qui aboie, un couple qui s’engueule… t’es au milieu de la vie quoi. T’es obligé de réagir et de l’emmener dans ton histoire, sinon tu peux pas embarquer les gens. C’est comme ça que j’ai appris l’improvisation.

Maria Dolores

C’est ce côté burlesque et impro qui fait que tu matches bien avec les Chiens de Navarre. Comment tu as intégré la troupe ?

Quand Jean-Christophe Meurisse, le metteur en scène des Chiens de Navarre, m’a appelé, j’étais super heureuse parce que j’avais été voir plusieurs spectacles, j’adorais leur travail. C’est une écriture de plateau, Jean-Christophe et Amélie Philippe, sa collaboratrice artistique, sont là et nous guident. Ils forment un bon duo, ils ont des psychologies très différentes qui s’équilibrent très bien et pour eux, et pour nous sur scène. Dans l’écriture de plateau, l’improvisation est importante, et les changements sont récurrents pendant les répét’ pour faire évoluer le spectacle et trouver la représentation imaginée par le metteur en scène.

Justement, comment se passe la création et l’interprétation avec les Chiens de Navarre ?

Il y a la thématique de départ, Jean-Christophe a des idées de scènes, nous on les suit et on se lance. Parfois on ne sait pas du tout où ça va aller, t’essaies de préparer tes idées la veille, t’arrives sur scène, t’as une impulsion et ça dévie complètement sur autre chose. Jean-Christophe nous guide et met en scène en direct. Et c’est comme ça qu’on se nourrit les uns les autres, c’est très jouissif mais c’est un gouffre où on saute dans le vide sans savoir ce qu’il y a en bas. Mais on a une ligne qu’on suit tout au long du spectacle, c’est des scènes quand même très construites, c’est un énorme travail d’équipe. Jean-Christophe et Amélie sont tout le temps avec nous sur les dates, parfois il joue aussi dans ses scènes préférées, comme celle de l’assemblée nationale, qu’il adore faire. Après, on a parfois des possibilités d’impro en live, comme des références à l’actualité où à la ville où on joue, ça dépend de l’inspi et du public.

En coulisses, les personnalités sont aussi folles et déjantées que sur scène ?

Y’a des trucs pas possible qui se passent en coulisses, on rit bien, tu croises tes collègues à poil, t’en as un qui se prépare qui se fout de la morve dans le nez et de la merde dans la couche, donc oui il y’a des situations cocasses. On le voit dans les lieux où on va jouer, dans les yeux des régisseurs, le premier soir c’est un tel feu d’artifice de conneries et d’effets que c’est surprenant. Quand ils voient le truc ils se disent “mais c’est quoi ce bordel” (rires). Le plateau à la fin il est plein de terre, de serpentins, de sang etc…c’est n’importe quoi !

Y’a beaucoup de sujets représentés : manifs, asile, accouchement, politiques, référence au Joker etc…c’est laquelle ta scène préférée ?

Il y en a une que j’aime beaucoup à la fin, avec Gaëtan et Delphine, qui ont des personnages opposés tout au long du spectacle. Lui, c’est un grand bonhomme, le facho qui insulte l’entièreté de l’espèce humaine avec un discours de haine, rempli de punchlines terribles pendant 10 mins. Elle, c’est plutôt une petite nana fragile, qui se retrouve dans sa vie dans des situations quotidiennes où elle est complètement humiliée. Et la scène que j’aime c’est quand, vers la fin, les deux persos se retrouvent dans l’hôpital psy un soir, et ils se mettent à discuter, tous les deux, collés l’un à l’autre. Tout d’un coup ça devient hyper doux, alors que tu sens le public qui se dit ”oh putain nan cette pauvre nana qui se retrouve là maintenant avec lui qui est complètement cinglé et violent” et en fait non, pas du tout. Ils se confient sur leur folie, sur leur fragilité, montrent leur vulnérabilité et se réconfortent comme ça tous les deux, c’est une très belle scène. Ils se rapprochent malgré l’opposition totale de l’un et l’autre, et au final ils se comprennent plus que ce que n’importe qui aurait pu imaginer, en partageant une fragilité et des failles communes.

« J’ai commencé dans le théâtre de rue, c’est très sauvage : tu vois les gens qui partent, arrivent, un bébé qui pleure, un chien qui aboie, un couple qui s’engueule…t’es au milieu de la vie quoi. »

Peut-on rire de tout ?

Moi je dirais que oui. C’est très intime le rire, c’est comme l’amour, ça prend des chemins parfois surprenants. On peut rire par sincérité, de trucs hors des clous, de ratés; je pense qu’il faut se permettre des choses et essayer, la validation finale c’est le public. Mais, on est obligé de prendre en compte les évolutions du rire et de la société, avec le temps y’a des choses moins tolérées, il faut être à l’écoute de ça. C’est aussi une question d’âge, peut-être que quand on a 20 ans on était plus des chiens fous que maintenant qu’on a la quarantaine.

Du coup, vous êtes quels types de chiens aujourd’hui dans les Chiens de Navarre ?

(rire) Je dirais qu’il y a plusieurs races à l’intérieur du groupe, y’a du caniche, du pitbull, du bon saint-bernard… moi je suis un gros pépère de golden retriever croisé avec un bichon frisé ! Bon après, on n’est pas calmé non plus, juste est un peu moins tête brûlée. Même si on aime toujours la folie, l’organique, le trash, le déjanté. Mais cette place à la beauté et à la faille elle est là, importante, elle existe, et ça tu le découvres qu’avec l’expérience de vie. Ça met en exergue toute la folie du reste finalement, en contrastant avec. Maintenant on est des chiens fous plus expérimentés (rire).

Propos recueillis par: Lieutenant Dan // Crédits Photos : Philippe Lebruman / Jean-François Picaut