Guslagie Malanda, c’est une actrice arrivée par hasard mais qui a complètement cassé l’écran. Depuis son premier rôle avec Jean-Paul Civeyrac dans Mon Amie Victoria, elle a décollé pour apparaître dans le dernier film d’Alice Diop, Saint-Omer, présélectionné aux Oscars 2023. On a rencontré l’actrice qui a perdu un pari et a confirmé sa place sur le grand écran aux Festival Entrevues à Belfort.

Quel a été ton premier amour de cinéma, qui t’as poussé vers le métier d’actrice dans lequel tu t’es illustrée ?

Je sais pas trop comment on devient véritablement acteur ou actrice, pour moi ça a été un hasard donc je sais pas trop comment… Mais j’aime le cinéma, je ne suis pas la plus grande des cinéphiles mais j’aime beaucoup aller au cinéma, j’aime beaucoup voir des films, j’aime beaucoup entendre les autres parler de cinéma. J’ai des goûts assez éclectiques mais c’est vrai que mon travail d’actrice est déterminé aussi par mon regard sur le cinéma, ça c’est vrai. Donc comment j’ai été amenée à être actrice ? Bah par hasard !

Parlons-en peut-être de cette histoire de hasard. On est en 2014 pour ton premier long-métrage avec Jean-Paul Civeyrac, on est sur Mon amie Victoria. Comment se font tes premiers pas au cinéma ? Comment as-tu appréhendé ce premier rôle ?

C’était complètement un défi. Moi j’étais à une exposition d’un ami et le coiffeur d’une directrice de casting m’a repéré… donc on peut pas faire plus hasardeux que ça. Ensuite, j’ai perdu un pari avec mon ex-mec, et il m’a dit « si tu perds, tu vas au casting ». J’ai perdu le pari, je suis allée au casting et j’ai été prise pour le rôle… En plus au départ Jean-Paul Civeyrac avait envisagé de travailler avec quelqu’un d’autre que moi et finalement, on s’est retrouvé avec un dernier essai qui a tout emporté et voilà.

Donc aucun passé de comédienne quand tu arrives sur ce premier film, ça se passe comment de devenir actrice comme ça sur le fait ?

Je me souviens que le premier jour, et même la première semaine j’étais mais complètement stressée. Je me disais « mon dieu, mais c’est un premier rôle en plus Victoria, je ne suis pas du tout à la hauteur, c’est une grosse blague ». Mais je me suis aussi dit « bon, ça a marché parce que j’ai plu à Jean-Paul Civeyrac à un endroit, et ce sera un one shot » et voilà. Mais en fait non, j’ai composé Victoria petit à petit. Il y a bien sûr de moi dans Victoria, mais il y a aussi comment je la compose, comment je l’ai perçue et comment avec Jean-Paul, on a décidé de la rendre à l’écran. Ça a été un travail avec Jean-Paul Civeyrac qui est toujours un ami aujourd’hui, déjà parce que j’aime beaucoup son cinéma. Parce que l’histoire de Victoria, c’est aussi sa relation au monde, aux autres, donc les autres existent à travers elle. Donc j’ai été très bien dirigée par Jean-Paul Civeyrac, ça, c’est clair, j’ai été très bien dirigée par lui, mais c’est vrai que très vite on s’est fait confiance.

« Moi mon métier n’est pas de faire, de reproduire ou d’incarner des clichés. »

Et on va devoir attendre 2022 pour te revoir, sur grand écran en tout cas, avec Saint Omer d’Alice Diop. Cette absence du cinéma pendant un petit moment ça a été des choix de cinéma, des valeurs ? Pourquoi on ne t’a pas vu plus souvent ?

Ce sont des choix radicaux avec mon agent. Pendant près de 7 ans, on était dans une période post-attentats, les scénarios tournaient beaucoup autour de la violence et donc de son lot de clichés concernant notamment les acteurs et actrices noirs ou maghrébins, maghrébines… Donc c’était beaucoup des choses qui tournaient autour de la prostitution – toujours d’ailleurs, je reçois toujours des propositions de ce types-là – autour de la délinquance, du terrorisme… Je pense vraiment que je n’ai aucune limite de personnages, de rôles, d’identités à l’intérieur des films, mais simplement, il faut que me soit proposé une vraie complexité humaine du personnage. Jouer une prostituée, oui, mais il faut que cette prostituée existe vraiment, dans son humanité ou son inhumanité d’ailleurs, mais que quelque chose de l’ordre de notre humanité transparaisse dans le scénario. Mais ça ne peut pas être un cliché. Moi mon métier n’est pas de faire, de reproduire ou d’incarner des clichés. Ça ne marchait pas dans tout ce qui m’a été proposé, c’était vraiment calqué pour des histoires de fric, de box-office, il n’y avait pas de profondeur dans ces personnages. Aucune profondeur, ce qui est quand même dingue quand on parle de violence, de prostitution, de terrorisme, d’intégrisme religieux ou je ne sais quoi… Je ne critique absolument pas les acteurs et actrices qui choisissent malgré tout d’accepter des rôles où ils sont moins à l’aise, on a tous besoin de manger, mais simplement je voulais essayer autrement. J’ai choisi cette radicalité, je ne sais pas où elle va m’emmener, mais j’ai l’impression qu’aujourd’hui elle constitue une part importante de ma liberté d’actrice.

Mais elle t’a amenée vers de belles choses, parce que Saint Omer d’Alice Diop, c’est un film où tout ce que tu viens de dire répond beaucoup au personnage que tu interprètes. Le film est inspiré de l’histoire vraie de Fabienne Kabou, qui est une femme qui a tué son enfant dans le nord de la France et va chercher de l’humanité dans un personnage qu’on a du mal à comprendre. Comment tu as appréhendé ce film très lourd ?

C’est un travail de longue haleine avec Alice Diop autour non pas de qui est cette femme, ou de est-elle coupable ou non, on était pas dans une intention journalistique ou médiatique ; C’était comment, à l’intérieur de son récit, de son propre récit qu’elle narre lors de l’audience, comment on pouvait trouver une universalité. Et du coup, on s’est attelées à ça, voilà, comment cette femme qui a commis l’irréparable, par son récit quelque part permet de réparer malgré tout quelque chose pour elle et pour la société tout entière, totalement. Ce film c’est quelque chose de tendu aux spectateurs et spectatrices, qui est de l’ordre d’un miroir, qui peut être totalement déformant, ressemblant, qui peut être brisé, saccagé… Mais il faut qu’il y ait un fil tendu, ténu, précaire, violent… qui existe quoi. S’il n’y pas ça, ça sert à rien de faire du cinéma quoi, si on veut pas ça en tant qu’acteur/actrice, moi je trouve que ça sert pas à grand chose. Moi j’adore le danger, j’aime être à des endroits qui me déplacent totalement.

Et peut-être qu’on va retrouver ça dans le prochain film dans lequel tu figures aux côtés de Léa Seydoux et George MacKay, c’est La Bête de Bertrand Bonello, qui sort le 28 février prochain. Tu l’as d’ailleurs présenté en avant-première au festival Entrevues de Belfort. Tu nous en dit quelques mots ?

Très dur à résumer, en plus moi, j’apparais je crois 6 à 10mins dans le film, j’ai un tout petit rôle, mais c’est un film librement inspiré de La Bête dans la jungle, une nouvelle d’Henri James qui est absolument époustouflante. Bertrand Bonello en a fait je pense un grand film sur ce qu’on entend par obsolescence, qu’est-ce qu’on entend par quelque chose qui se termine, par la fin des émotions dans une dystopie, la fin des images, par la fin peut-être de notre humanité. Et je crois que c’est un très grand film là-dessus, sur le fait que quand tout fini, qu’est-ce qui commence vraiment ? Voilà, si je peux résumer ça ainsi, il est très dur à résumer ce film mais voilà, je pense que c’est un film qui se demande au moment où on a tout perdu, qu’est-ce qui commence, qu’est-ce qui peut être retrouvé.

Propos recueillis par Paul Dufour lors du Festival Entrevues de Belfort 2023 // Photos : Paul Dufour