Dans un monde où la popularité et la visibilité des discours fachos sont en pleine expansion, TiensTiens a fait de Pascal Praud ou Hanouna ses muses. Des personnages récurrents de ses BD parodiques et absurdes sur la société qui l’entoure. Avec ses compatriotes Maxime Morin, Lorrain Oiseau et Marguerite Hennebelle, ils étaient de passage à la librairie dijonnaise La Fleur qui pousse à l’intérieur.
Tu te rappelles la première chose qui t’a donné envie d’intégrer la politique à tes dessins ?
À la base, je ne faisais pas forcément des trucs politiques, j’étais plutôt dans le fanzine, avec des potes, avec des blagues à la con, parfois un peu politiques. Sur les réseaux, j’étais plutôt sur les délires de parodies du complotisme… Pendant le confinement, je me suis mis à faire 2 strips par semaine. Et je me suis rendu compte que c’était plus facile de puiser dans des choses qui te tiennent à cœur. Il y a quelque chose de très satisfaisant quand je fais quelque chose de militant, les réactions sont directes et les strips ont été bien accueillis. Depuis, j’ai vu quelque chose de Geoffroy de Lagasnerie, philosophe et sociologue pas forcément bien accueilli par le milieu, mais je le trouve très pertinent quand il s’agit de penser la question militante au niveau artistique. Il explique qu’il y a une sorte de honte à produire du matériel artistique, parce que tu t’exclues du monde matériel en faisant de l’art. En gros tu as le monde matériel, et toi l’artiste qui est un peu au-dessus du monde. Et si tu conscientises ça, il évoque le fait de ressentir une sorte de honte qui te fait repenser à comment tu aides vraiment la cause par l’art sans la surplomber. Je suis conscient que ce que je fais a peu de poids face à des choses « de la vie réelle » et j’ai aussi conscience que parfois je fais juste des blagues purement débiles.
Au niveau de tes inspirations, ça va, tu ne te forces pas trop à regarder CNEWS ou TPMP ?
Il y a un moment où je faisais pas mal ça ouais, mais maintenant que j’écris pas mal avec Maxime, on écrivait dans Socialter, et le fait qu’on soit plusieurs dans cette équipe, moi je suis le seul dessinateur, on arrive à avoir du matos en avance, beaucoup d’idées et je suis plus trop dans ce truc de « faut que je trouve une idée, faut que je regarde un débat de CNEWS pour trouver une connerie ». En plus j’essaie des trucs différents, avec Socialter notamment, je gardais quelque chose d’absurde et drôle mais j’explorais un peu des univers utopiques, sans systématiquement tomber dans la référence, mais plutôt avoir des imageries positives. Et dans mon prochain bouquin, je travaille sur la suite de « Koko déteste le capitalisme », je veux être là-dessus. Plutôt qu’être dans le creux anti-capitaliste, je veux monter des utopies communistes. Je veux trouver un angle qui reste drôle mais qui fait de l’humour en plein plutôt qu’en creux. Au lieu de se moquer de Pascal Praud, je veux essayer de trouver un nom qui reste drôle mais d’un autre genre.
Une de tes expos à Saint-Malo a été écourtée après que de charmantes personnes se soient plaintes. Comment réagis-tu face aux remarques négatives ?
J’ai tendance à bloquer assez facilement, je n’ai pas de remords. Ça dépend, quand il y a des réponses un peu cools, je laisse un débat se créer. Quand ce sont des réponses haineuses gratuites, racistes… ça dégage, je ne me pose pas la question. J’ai tendance à ne plus regarder les commentaires, car tu rentres dans une spirale assez déprimante. Ça peut être assez lourd. Mais des fois je suis là en mode « oh, celui-là, j’ai envie de répondre ».
Il y a des thèmes sur lesquels les gens réagissent plus violemment que sur d’autres ?
Ouais. Il y a quelques années quand j’ai fait mon premier dessin autour de l’écriture inclusive. Il y a beaucoup de réactions sur des sujets anti-racistes. Mais parfois, tu ne le vois pas forcément venir. Typiquement, j’ai eu beaucoup de commentaires il n’y a pas longtemps en rapport avec un dessin que j’avais fait à propos de la station de métro nommée « Serge Gainsbourg », qui devait ouvrir en région parisienne. J’avais fait un dessin de soutien à une artiste qui avait fait une campagne pour qu’elle ne s’appelle pas comme ça et en trouvant des noms de femmes. Dans les commentaires, on m’a donc expliqué pourquoi ce que je faisais était contre-productif. Quand on vient m’expliquer comment militer, ça me gave un peu. Mais j’ai fait l’erreur de répondre et après tu pars dans une grande discussion. Moi je veux juste me marrer avec mes dessins. Après ça dépend comment c’est formulé mais j’ai quand même l’impression qu’il y a des thèmes qui font plus de vagues : finalement quand tu fais un truc anticapitaliste, quelque chose sur l’économie, c’est plutôt bien vu, ça passe mieux. Les gens qui sont les plus actifs sur les réseaux sociaux sont plutôt des gens qu’on sent issus de l’extrême droite, pas tant à fond sur les questions d’économie, alors que sur des questions anti-racistes, antisémites, ils sont là.
T’as édité tes livres avec « Bandes Détournées », qui se revendique comme une maison d’édition « de gauche », c’est quoi une édition de gauche ?
Déjà, c’est déjà des éditeurs qui sont de gauche et très militants. Dans la structure économique, c’est pensé autrement. On n’est pas sur un gros groupe, une grosse boîte, c’est tout petit. Donc ils utilisent fréquemment des levées de fonds et on est mis au cœur de la création avec une transparence sur toutes les étapes, donc on sait comment est matériellement fait un livre. On parlait de la figure de l’artiste qui s’extrait du monde, tu reviens comme ça au côté matériel de la création et tu es confronté aux questions des coûts du papier… Ça t’ancre dans une réalité. J’ai eu un parcours plutôt graphique donc ce sont des choses qui m’intéressent. J’étais content de m’en occuper. Mais par cette maison d’édition là j’ai appris ce qu’était qu’un diffuseur, qu’un distributeur, quelle part ils prenaient, ça t’oblige à penser l’économie du livre. Et eux ils sont dans un modèle d’autoédition mais guidé, donc c’est cool d’être accompagné tout en étant responsable de toutes les étapes.
Propos recueillis par Paul Dufour // Photo de couverture : Paul Dufour // Illustrations : TiensTiens