Tu n’aurais jamais imaginé que les chansons qui rythmaient les fins de repas de famille soient au cœur d’un spectacle en talons et en perruques. Nous non plus. C’est pourtant le pari qu’a fait Sébastien Vion avec son spectacle Madame Ose Bashung, qu’il présente à l’Espace des Arts de Chalon-Sur-Saône, sa ville natale.

Sébastien, tu as fait partie du cabaret Madame Arthur, cabaret parisien où tu as créé le spectacle « Madame Ose Bashung » que tu présentes à Chalon samedi.

J’ai été avec Madame Arthur de 2015 à 2020. Le cabaret Madame Arthur, ce qui était important, c’est qu’il m’a donné une scène pour jouer énormément. J’ai rencontré là-bas de très bons amis et camarades de travail. Chaque semaine, on faisait un spectacle qui rendait hommage à un chanteur, de Dalida à Claude François en passant par Brel… et un jour, j’ai proposé un spectacle autour d’Alain Bashung. Ils ont accepté. Voilà comment ça s’est passé cette histoire.

Sur scène, il y a des créatures de cabaret mais pas que ?

Non, on est accompagnés par un orchestre, un quatuor à cordes, un guitariste électrique, un piano, autour de trois créatures chanteuses.

Pour revenir aux origines du spectacle, il faut te retrouver plus jeune, au milieu d’un concert d’Alain Bashung, complètement hypnotisé. C’est de là que le projet est né ?

J’ai découvert Bashung à 16 ans sur la scène de l’Espace des Arts, comme quoi la boucle est bouclée parce qu’on joue là-bas samedi. Ce concert m’a un peu fracassé, c’était très violent, j’ai adoré. Suite à ça, je me suis un peu plus intéressé à se discographie. J’ai suivi et j’adore Bashung quoi.

Qu’est-ce que tu aimes tant chez Bashung pour en faire un spectacle ?

Musicalement déjà, j’adore ce qu’il fait. Mais je crois que ce sont les paroles que j’aime le plus, ces paroles à tiroirs où tu peux y mettre plein d’intentions, chacun peut y voir ce qu’il veut. Les mots de ses chansons sont tellement ouverts et larges que tu peux en faire ton interprétation. Et y’a plein de choses qui résonne avec moi. On en a profité pour développer ça dans la mise en scène : on présente une image aux gens, mais ils ne sont pas obligés de la suivre. On reste open.

Un autre personnage vient bousculer ta vie. C’est Corinne, le personnage transformiste que tu interprète depuis maintenant 28 ans.

J’ai créé mon personnage pas longtemps après avoir vu Bashung, Corinne a été créée quand j’avais 21 ans. Mais avant ce personnage, j’en avais des autres. J’avais une compagnie de théâtre de rue quand j’étais à Chalon-sur-Saône qui s’appelait Piou-Piou. Corinne, je l’ai créé à Nancy, dans le café-théâtre d’une amie. J’avais ce personnage de placeuse, qui faisait finalement tout sauf placer les gens dans la salle avant le spectacle.

Parmi tous ces personnages, pourquoi Corinne est celui que tu as le plus utilisé ?

Corinne pour moi, c’est pas vraiment une drag-queen. C’est plus un clown ; et le clown, c’est un personnage que tu as avec toi toute ta vie. C’est une sorte de double : Charlie Chaplin avait son personnage avec lequel il a vécu tout sa vie, moi j’ai Corinne. Le public m’a également beaucoup orienté vers ce personnage, il marche bien, les gens l’adorent. J’ai réussi à en faire beaucoup de choses et à le décliner : j’ai fait de la télévision, je suis DJ, je fais des performances, j’ai fait des films avec ce personnage. Corinne me permet de faire plein de choses.

Ce personnage-là, ses attitudes son visuel, vient d’où ?

J’ai des inspirations très variées. Ça va de Louis de Funès à Buster Keaton en passant par Divine, c’est un mélange de beaucoup de choses. Mais le premier film qui m’a beaucoup marqué c’est Freaks de Tod Browning, qui est un film avec des monstres. La monstruosité, c’est un élément important de mon travail. Mon personnage brouille les pistes, il déstabilise les gens. J’aime pas les trucs trop lisse, j’aime bien quand c’est rugueux. Mais tout ça est un héritage du cabaret.

Dans ta vie, tu es donc danseur, chanteur, performeur, créature, DJ…

Auteur aussi.

Il y a quelque chose que tu ne sais pas faire ?

Danseur, je suis moyen danseur. Maquilleur, je suis pas très bon non plus, c’est pour ça que j’ai toujours le même maquillage. Après j’adore tout exploiter, j’aime aller rencontrer des gens et voir ailleurs. En ce moment je fais de la musique de film, bientôt peut-être que j’aurais un spectacle avec mes chansons.

J’ai des inspirations très variées. Ça va de Louis de Funès à Buster Keaton en passant par Divine

Revenir à Chalon avec ce spectacle, ça doit avoir un goût particulier ?

Tu m’étonnes. Le dernier spectacle que j’ai fait à Châlon c’était en 2003. J’ai toute ma famille qui va être dans la salle, il va y avoir de l’émotion, du sentiment. On a modifié quelques petites choses dans le spectacle en plus, quelques chansons changent. J’ai découvert une chanson posthume de Bashung qui me correspond très bien, donc je la répète en ce moment.

Très directement on se dit Bashung et cabaret avec des personnages transformistes c’est deux idées très différentes. Le spectacle il est fait pour faire se rencontrer deux univers et deux publics ?

Le spectacle n’est pas fait pour choquer. Sur les premières chansons, je pense que le public est surpris et finalement il se laisse aller à nous aimer. A la fin en tout cas, on a régulièrement fini avec des standing-ovations. Mais évidemment que jouer un personnage comme Corinne c’est politique, surtout quand on le frotte à un univers masculin comme celui de Bashung. Mais je pense que tout le monde s’y retrouve. Ce qui est important, c’est que des programmateurs prennent des risques avec nos spectacles. Avant on avait des lieux pour ces spectacles, mais c’était vraiment des lieux dédiés. Là ce qui est intéressant c’est d’aller dans un répertoire qui n’est pas lié au travestissement.

Si tu devais choisir une chanson de Bashung, laquelle gardes-tu ?

Ces derniers temps, c’est vraiment « monter vidéo ». Elle me colle vraiment à la peau et je ne la connaissais pas avant. Mais sinon je peux dire « Madame Rêve » : c’est le final du spectacle, elle a un côté très sexuel mais quand tu l’écoutes tu n’as pas forcément cette vision-là, j’aime cette ambiguïté. Son répertoire est vraiment riche, il va me suivre. En plus, par le spectacle, j’ai rencontré la dernière femme de Bashung, Clémence. Elle nous a donné son aval, elle a adoré le spectacle. Je suis allé chez elle, j’ai découvert sa collection d’animaux empaillés, c’est très touchant d’en arriver là.

Photos : Charlène YVES