Bienvenue sur les Terres de Jim, un énorme comice agricole organisé à Mamirolle, dans le Doubs, début septembre dernier. Un événement où l’épreuve du Moiss’Bat cross est reine.
Un fou du volant, lancé à toute berzingue entre des bottes de paille XXL, pétaradant dans la boue au milieu d’un champs, en recrachant une fumée noire. Sur le flanc de son véhicule, une inscription : Kate Moiss’, hommage au top et jeu de mots bien senti. Le véhicule chasse et manque de se retourner. Il se reprend et dépasse. Le public retient son souffle. Conventionnel dans une course auto, moins quand c’est une course de moissonneuses-batteuses.
Le Moiss quoi ?
Moiss’Bat Cross, des mots qui cohabitent, de prime abord, difficilement ensemble. Alors une démo de moiss’-bat ça ressemble à quoi ? Ben il voit Jour de Tonnerre avec Tom Cruise ? En fait, ça n’a rien à voir. Ici on est à la croisée des chemins entre du stock car et du rallye, mais avec des engins gros comme des éléphants. Ça se tamponne sec et ça cherche la brèche pour faire des dépassements. Ça pétarade, ça fume, ça caquette et ça tombe en panne. Le terrain se transforme en ornières de boue géantes et la pelleteuse/grue pour remettre le véhicule debout n’est jamais loin. Verdun. Les véhicules, propulsés par l’avant, ont une fâcheuse tendance à chasser de l’arrière et c’est ça qui rend la pratique impressionnante. Les concurrents ont également pensé au côté « spectacle » de la pratique et il n’est pas rare d’entendre des klaxons « fantaisies » ; c’est toujours agréable d’entendre Baby Shark ou le thème de l’empire de Star Wars version avertisseur sonore s’élever dans le brouhaha des moteurs. Sans compter les différentes thématiques des moiss’bat : Kate Moiss’, La Délicieuse, la Greluche, Peggy (celle qui ressemble à un gros cochon)… La pratique ne se prend pas au sérieux et c’est tant mieux.
Mais qui a eu l’idée ingénieuse de prendre de vieilles moissonneuses-batteuses pour en faire des véhicules de course ? Selon nos confrères de la Dépêche, l’acte de naissance remontrait à 1988 à Lavardac dans le sud-ouest. Le Perche, autre organe de presse régional, l’attribuerait à un mec dans le département de l’Eure. Ce dernier lassé (à juste titre, ndlr) du manque de spectacles des concours de labours, aurait inventé une course d’engins agricoles. La pratique est en tout cas ultra développée et spectaculaire dans les territoires céréaliers du centre-ouest de la France, type Mayenne ou Deux-Sèvres. Car qui dit céréales dit Mois-Bat’ dans la grange.
« Le but c’est de s’amuser, de se faire plaisir, et que le public voit que les engins se frottent, qu’il y ait du beau spectacle. »
Harvesters
Après des recherches poussées sur les sites les plus obscures d’agriculture US, il semble que le Moiss’Bat Cross ne soit pas un sport pratiqué chez l’oncle Sam. Les Américains y pratiquent, eux, un Stock-Car Moiss’Bat dénué d’intérêt. On a l’impression de regarder Transformers 12 ou Power Rangers au ralenti et ce n’est pas jojo. De notre côté, le spectacle est quant à lui bien présent. En marge de leur aspect massif, les moissonneuses vrombissent et dégagent une épaisse fumée (pas très EELV j’en conviens). Selon Stéphane, l’organisateur de l’événement, elles peuvent atteindre les 30 km/h facile. Cindy, enfin Georgette pour les intimes, une des pilotes de Moiss’Bat cross, nous confie : « On n’a jamais essayé de la pousser à fond mais ça doit aller à au moins 70-80. Le moteur est tellement gros par rapport au poids de la machine, une fois que tout a été allégé » (les Moiss-Bat’ ont été vidées du superflu). En effet, quand on les voit débouler sur la piste et chasser de l’arrière dans les virages, on se dit que les sensations doivent être garanties !
Même si cela reste un sport mécanique, il est moins onéreux qu’il n’y parait. Parce qu’on se le dise, une moissonneuse-batteuse dernière génération cela coûte environ 250 K€. Donc ici on fait de la récup’, car il y a beaucoup de casse… Surtout que l’économie est à la débrouille : « Pas de sponsoring dans la pratique, tout le monde fait comme il peut en récupérant des pièces à droite à gauche et en tissant des liens avec le revendeur du coin ». Des passionnés qui n’ont pas peur de mettre les mains dans le cambouis.
Satanas et Diabolo
En revanche, si vous cherchez un championnat de Moiss’Bat, vous vous êtes trompés d’adresse, la pratique bien que vieille d’environ trente ans n’a pas de fédération, de parcours officiel ni même de stars, même si ça se structure petit à petit : « On a monté une association, les Tonneliers Bargeots pour développer la pratique et se faire connaître » nous explique Cindy. « Pour le moment, ici dans l’est de la France, on ne fait pas de courses, on dit qu’on fait des démonstrations. On joue sur les mots, ça permet d’alléger au niveau de la sécurité. On n’est pas là pour faire 25000 tours, le but c’est de s’amuser, de se faire plaisir, et que le public voit que les engins se frottent, qu’il y ait du beau spectacle ». En effet, pendant les démonstrations les contacts sont monnaie courante. D’ailleurs les mécanos ont apposé des glissières de sécurité, de type autoroute, tout autour des Moiss’Bat pour protéger les machines et éviter de faire trop de « ferraille », c’est-à-dire les réparer in situ.
En regardant autour de nous après la première manche, Cindy nous le fait constater : « Ici, y a un mec qui a l’axe tordu, là c’est la courroie. Tu regardes une manche et tu regardes comme on est secoué, alors t’imagines la machine ! ». Effectivement, le constat est cinglant : les coureurs sont remués dans tous les sens, surtout que l’habitacle est en hauteur. Une espèce de safari dans la brousse de chaque instant. On espère quand même pour eux qu’ils aient prévu des petits coussins.
À l’orée de la course, une vaste raie de pelleteuse, façon tranchée, a été creusée et le public est amassé derrière de grandes barrières Heras. Pas très sexy. Interrogé à la sortie, Fred nous avoue être déçu : « On est loin et on ne voit pas grand-chose avec ces grandes barrières, ça rend le spectacle moins impressionnant ».
Tracteur Tondeuse à Jim
L’autre discipline phare de la journée : le tracteur tondeuse ! Des mini tracteurs tout droit sortis de votre (grand) jardin pour des courses un peu folles. L’ambiance est clairement à la Mario Kart, les carapaces rouges en moins. Une activité fun, si vous n’êtes pas hyperacousique ! Le bruit est totalement assourdissant. On quitte quelques temps le champ de bataille pour se promener sur les Terres de Jim, cet événement XXL organisé par les Jeunes Agriculteurs (proche de la FNSEA) : 80 ha de champs aménagés pour accueillir plus de 100 000 spectateurs sur 3 jours. Des concerts, du labour, des défilés de vaches, des baptêmes d’hélico mais aussi des stands de l’agri-business ; Coucou Total Energie, Crédit Agricole, Lidl and co. C’est censé promouvoir l’agriculture, mais on est loin du fantasme du petit agriculteur bio et finalement on est dans le super marché grandeur nature de l’agriculture intensive.
Les seules choses qui restent ok : la buvette, qui fait salle comble, et l’énorme vitabri pour manger une saucisse (de morteau !) et des frites de bonne qualité. Finalement, le spot de Moiss’Bat reste le plus cool, on y retourne fissa. Peut-être qu’un jour on aura le droit de voir un vrai championnat de Moiss’Bat cross et peut-être même que le sport s’exportera, là-bas, jusqu’aux USA.
Pour lire l’article version magazine en intégralité, rdv à la page 30 du mag n°47 ou juste ici.
Texte : FLT // Photos : Thai-Binh Phan-Van