(La)Horde, c’est la compagnie de danse qui casse tout en ce moment. Après avoir pris la direction du Ballet national de Marseille, ils ont conquis le public international en dansant pour Sam Smith et Madonna et ils en ont encore sous le pied. On a rencontré la meute lors de leur passage à L’Auditorium de Dijon. (On a rencontré une partie de la compagnie, mais ils préfèrent s’exprimer au nom du groupe. Les réponses sont donc signées « (La)Horde »)
Comment tout ce monde s’est rencontré ?
(La)Horde : En fait à la base, on est des amis, des proches (les fondateurs et fondatrices, Jonathan Debrouwer, Arthur Harel et Marine Brutti, ndlr). On se connaissait dans le cadre de nos études et on est devenus très ami.e.s On s’est rencontrés d’abord parce qu’on était des gens curieux, on traînait dans beaucoup de soirées. C’était y’a une vingtaine d’années à peu près et (La)Horde maintenant ça a 13 ans.
Dans vos spectacles, bien sûr, on va chercher la danse, mais aussi le théâtre ou encore le cinéma. Et même dans la danse, on voit du contemporain, de la danse électro ou même du classique. Chaque personne du collectif à sa patte qu’il apporte au groupe ?
C’est vrai qu’on est nombreux, on vient de partout, mais ce qui nous relie c’est peut-être le fait que quand on est né, Internet n’existait pas. On a vu Internet arriver et on s’est dit qu’on allait utiliser la vidéo, mais après on s’est aussi dit qu’on s’ épuisait pour rien parce qu’il y avait déjà des gens qui faisaient des vidéos de danse tout seul et qui apprenait à faire des vidéos tout seul sur YouTube. On a trouvé ça incroyable. On a fait un pas de côté pour regarder ce qu’il se passait sur les réseaux, on a trouvé ça magnifique et horrible en même temps, c’est vraiment les opposés. Mais on a décidé d’utiliser les outils d’Internet pour rencontrer les autres, questionner des pratiques très différentes qui étaient souvent émergentes et continuer des réfléchir à des questionnements contemporains, sur ce qu’il se passe dans le monde et dans la société.
Ce qui nous intéresse, c’est pas tant le mouvement mais pourquoi on crée ce mouvement et ce qu’il veut dire.
J’ai l’impression qu’aujourd’hui, grâce à Internet, la danse n’a jamais été aussi présente partout.
Internet a permis d’apprendre à danser, à voir de la danse partout. Il suffit d’une caméra. Ça a permis vraiment une démocratisation de la pratique. Et tout ça a une influence sur les représentations. Nous quand on était à l’école, on dansait pas tant que ça. Mais maintenant à l’école ça danse et Internet a permis de donner juste de la visibilité à des choses qui existaient peut-être avant. Mais on trouvait intéressant de voir comment ce phénomène a un rapport avec la représentation du corps. On aime bien interroger les corps, les costumes pour créer un tout. Ce qui nous intéresse, c’est pas tant le mouvement mais pourquoi on crée ce mouvement et ce qu’il veut dire.
Ce rapport à Internet, il était central dans votre spectacle Age of Content ?
Oui complètement. C’était un gros thème du spectacle. On s’est beaucoup inspirés du jeu vidéo, parce qu’aujourd’hui le jeu vidéo c’est une industrie très puissante, que les gens sous-estiment énormément. Alors que le jeu vidéo arrive à construire des mondes, des univers à raconter des histoires. On a puisé aussi dans le jeu vidéo sa corporalité assez propre et un vocabulaire de corps très différent de tout autre média. On a toujours été assez fan du thème de la science-fiction, parce que malgré leur manque de réalisme il évoque toujours des thèmes très actuel. C’est comme la comédie musicale : derrière son côté coloré et chantant, je pense à West Side Story, on évoque le racisme ou d’autres sujets centraux qui touchent au fonctionnement de la société. Et c’est d’ailleurs pour ça que ces genres sont particulièrement populaires en temps de crise.
Si on parle du spectacle que vous avez joué à Dijon « Childs, Carvalho, Lasseindra, Doherty », référence à 4 grandes chorégraphes. Il faut revenir en 2009 pour la création du spectacle.
Quand on est arrivés à la direction du Ballet National de Marseille en 2019, notre projet c’était de faire du lieu un endroit pour créer des pièces mais aussi pour inviter des chorégraphes à composer avec le Ballet. On trouvait intéressant l’idée de solliciter des grandes icônes de la danse et d’aussi donner l’opportunité notamment à des jeunes artistes d’expérimenter avec un grand groupe. Écrire pour un grand groupe aujourd’hui c’est un acte de résistance. Quand on est jeune créateur, on nous dit d’éviter, mais c’est super important parce que ça te permet de penser à d’autres choses, de trouver parfois des solutions en expérimentant, en collaborant, d’écrire dans un contexte différent. Notre idée, c’était de faire un programme réunissant des chorégraphes qu’on avait en tête. Quand on est arrivés, on nous a dit qu’on allait tuer le Ballet National, alors que notre but c’était de faire ressurgir le patrimoine national.
Internet a permis d’apprendre à danser, à voir de la danse partout. Il suffit d’une caméra. Ça a permis vraiment une démocratisation de la pratique.
C’est Roland Petit qui a créé le Palais du Ballet et à l’époque il collaborait déjà avec plein d’artistes, il n’avait pas de barrières. Il travaillait avec le cinéma, avec des grands designers comme Versace, Yves-Saint-Laurent. Il n’avait pas de limites. Du coup on a regardé ce qu’il a fait dans les différentes directions et on a vu qu’il y avait une pièce de Lucinda Childs qui s’appelait Tempo Vicino qui avait été créé pour le Ballet de Marseille. Après avoir regardé des vidéos, on s’est dit que ça pouvait être intéressant de ressortir cette pièce et de créer un programme en partant de Lucinda, comme un hommage à la danse. Comme cela, on voulait créer un dialogue entre les différents chorégraphes qu’on allait inviter.
Pourquoi avoir choisi ces quatre-là du coup ?
C’est intéressant parce que toutes ces personnes ont des regards sur la danse qui sont très différents. Donc les danseurs pendant le spectacle vont se transformer dans les registres. On a créé un dialogue entre des mouvements très académiques qui vont se transformer vers du théâtral vers quelque chose de très sexy et après quelque chose où l’on en vient à repenser les représentations du jogging, du baggy. C’est des interrogations autour de la danse et du genre qui sont hyper intéressantes. Travailler avec elles c’était super, elles se sont pris d’intérêt pour le projet et certaines ont créé ensemble des ponts entre leurs moments. Mais on a rencontré aussi des difficultés : on est arrivés pendant le COVID et on a dû monter la pièce de Lucinda alors qu’il était interdit pour elle de voyager. Donc on a compté sur nos deux répétiteurs qui avaient déjà travaillé avec elle et qui avaient la mémoire de Lucida dans leur corps. On a fait tout le squelette de la pièce avec eux et Lucinda était en Zoom où elle donnait les détails.
En parlant d’icône avec lesquelles vous travaillez, on vous a vu sur le Celebration Tour de Madonna. Elle est comment en vrai ?
C’est Madonna. C’était incroyable. On a pas eu beaucoup de temps avec elle, mais pouvoir partager une scène aussi grande, la voir performer comme elle le fait pendant 2 heures après toute sa carrière c’est incroyable.
Et je demande ça pour un ami, mais on la rencontre comment Madonna ?
Tu sais, c’est pas toi qui choisit si tu veux la rencontrer, c’est plutôt elle.
Bon (La)Horde vous allez toujours plus haut, plus fort, plus loin, vous avez l’impression d’être à votre pic là ?
Non, on va encore continuer, en ce moment on a des désirs de cinéma, on va essayer de se mettre à faire des films, parce que ça nous intéressait. Mais on encore beaucoup de désirs pour faire plein de chose.
Photo de couverture : Didier Philispart