Article à retrouver dans notre magazine papier numéro 48.Bercés un peu trop longtemps aux aventures d’Hercule Poirot et aux enquêtes de Sherlock Holmes, le métier de détective privé reste un fantasme qui n’a pas tant changé que ça depuis les romans de gare du milieu du 20e siècle. On en compte environ 800 en France, dont une vingtaine dans la région. On a rencontré ces accros aux vitres teintées et aux histoires sombres dignes des meilleures séries B.
L’orsqu’ils arrivent au lien de rendez-vous, pas une fumée de pipe à l’horizon. Même pas un bout de trench trainant jusqu’au genou, un stetson ou toute autre loupe dans le coin de la poche. Les détectives privés sont bien des gens lambda dont le métier est de rester ordinaires et discrets afin de démêler les affaires des autres tapis dans l’ombre. Chaque jour, sur le bureau d’un détective c’est une nouvelle affaire, la routine n’existe pas. C’est ce qui a motivé Hercule* de l’agence AGH à s’intéresser à la profession : « Je ne voulais pas être dans un bureau, travailler toujours au même endroit. Je voulais que ça bouge. »
En 2017, ce trentenaire passe-partout au léger bégaiement, basé sur Dijon, entend parler d’un policier qui s’est reconverti dans le métier, ce qui est d’ailleurs souvent le cas. Il se renseigne et se lance. À l’époque, Nestor*, de l’agence ERF a déjà 5 ans d’expérience. Quand il a commencé, le métier commençait tout juste à être réglementé. Ce qui lui plaisait, c’était d’être une sorte de prolongation du travail de la police : « J’aime le fait d’intervenir dans le cadre privé, à la demande soit d’un particulier soit d’une entreprise. Globalement, on répond à des demandes où les gens sont démunis, où ce n’est pas dans les prérogatives de la police, donc on vient combler un vide », nous explique-t-il. Ce vide, c’est celui qui insuffle tous les épisodes de Desperate Housewives. Des histoires d’adultères desquelles la police se désintéresse mais également des recherches de personnes, des amoureux perdus de vue ou des liens familiaux brisés. Mais le détective n’intervient pas qu’autour des histoires entre particuliers, « côté entreprise, on enquête sur de la concurrence déloyale, du vol a entreprise, sur des arrêts de travail (soi-disant) abusifs des salariés.» m’explique Nestor. Grand Capital is watching you.

Une enquête examinée à la loupe.
Une fois sollicité, le détective peut se réserver de refuser l’enquête qu’on lui a proposée si elle n’est pas justifiée et n’est pas dans un cadre légal. Hercule nous explique : « J’ai déjà refusé des demandes à des personnes. Des fois, on me demande de pirater des comptes Snapchat, Facebook ou Whatsapp et je refuse direct. Même la police parfois n’arrive pas à le faire. Quand j’ai des propositions de gens qui me demandent de surveiller leur partenaire, la loi n’est pas claire sur les bornes. Personnellement, je trouve ça parfois un peu abusif donc je ne travaille que quand il y a un lien juridique entre les deux personnes. C’est-à-dire s’ils sont mariés, ont acheté un bien ensemble, qu’ils ont un intérêt financier. Parce que ça m’est déjà arrivé que des gens m’appellent en me disant « j’aimerais faire surveiller mon beau-frère parce que je suis sûr qu’il trompe ma sœur et je veux lui ouvrir les yeux », pour moi, c’est pas possible ».
Ce devoir de déontologie est nécessaire à leur métier, parce que chaque agence de détective privé, ou « agent de recherche privé » selon le terme juridique, est placée sous la tutelle du Ministère de l’Intérieur (depuis seulement 2010, avant c’était le bordel, tout le monde pouvait le faire…). Pour être amené à exercer, chaque détective passe une formation. Malheureusement, on n’apprend pas en cours de détective à faire des peintures de camouflage en matant une saison de Derrick mais principalement des principes juridiques et de la comptabilité, les détectives étant principalement à leur compte. Une fois validée, l’enquête peut commencer. Comptez 60€ par heure de travail pour engager un détective. L’enquête la plus simple vous coûtera autour de 600€ et peut monter jusqu’à 3000€.

Suivez cette voiture !
La partie du métier excitante arrive sur le terrain. Enfin excitante… Si on veut… C’est le moment d’aller surveiller des cibles, afin de récupérer des informations précieuses pour l’enquête. C’est bien sûr le moment préféré des détectives : « Ce que j’aime dans ce travail, c’est l’excitation et l’adrénaline quand tu attends quelqu’un depuis 5 heures et que tout à coup elle sort. Par contre, des fois ils ne sortent pas… » nous explique Hercule. En une minute, il détruit directement le mythe. La vie d’un détective se passe plus à attendre qu’à faire des cascades et autres drifts dans les rues. La patience est la première qualité pour exercer : « Une fois, je suis resté de 6h du matin à 20h dans ma voiture sans voir la personne. » De quoi bien remplir ses grilles de mots-fléchés dans la boîte à gants. Une enquête peut s’avérer longue sans avoir forcément des résultats probants. L’objectif est pour les détectives de réaliser un dossier au client recevable en justice, comme nous l’explique Nestor : « On émet un rapport détaillé, circonstancié et avec des photos. Donc dans le rapport, on a un agrément du Ministère de l’Intérieur. Le juge voit que c’est recevable et que le document ne sera pas rejeté directement par la partie adverse. »
Dans ce dossier, ils ont le droit de fournir des photos prises dans la rue, dans les lieux publics comme des restaurants, mais n’ont pas le droit de passer la porte des lieux privés, l’affirme Hercule : « On ne peut pas écouter à travers un mur, l’escalader pour passer de l’autre côté, prendre des photos à travers des fenêtres ou dans un jardin. On reste dans la rue ou dans les espaces ouverts au public. » Une fois posé dans sa voiture, vitres fermées, pendant des heures, le travail du détective est de passer inaperçu. Pas forcément facile quand ta berline aux vitres teintées est postée dans un quartier pendant des journées entières. Hercule se rappelle des fois où sa mission s’est arrêtée brusquement : « Tu n’as pas trop le temps de douter. Avant de te rendre compte que t’es repéré, t’as fait deux tours de rond-point et c’est louche. » Mais ce n’est pas forcément la cible qui est la plus compliquée à appréhender : « Le plus gros problème, c’est souvent avec les voisins. Ils vont venir me voir parce que c’est rare que je me gare devant la maison de la cible, je me gare derrière. Mais le voisin qui me voit garé devant chez lui depuis 7h du matin, il tique. À ce moment-là, je m’adapte, je leur dis que j’attends quelqu’un, ou je me fais passer pour un commercial. », décrit Hercule.
Big Apple is watching you.
À l’heure où on nous parle de collectes de nos données sur Internet, où on partage constamment notre localisation sur les réseaux sociaux, est-ce que tout un chacun peut s’improviser détective ? La question est bien sûr rhétorique pour les concernés, qui n’utilisent que peu les données digitales : « la plupart de ce qu’il y a sur Internet n’est pas recevable par la justice. Quand j’ai commencé, les gens avaient des comptes publics sur les réseaux, maintenant, ils les verrouillent. Après, j’ai déjà vu des huissiers qui utilisaient des captures d’écran Facebook pour que le client ait des preuves recevables d’un salarié en vacances sur la plage alors qu’il a posé un arrêt maladie », m’explique Hercule. Néanmoins, il existe dans les dernières innovations de plus en plus d’outils pour faciliter le travail des détectives : « parfois on utilise des logiciels de reconnaissance faciale par des intelligences artificielles, décrit Hercule. Ou encore, imaginons que j’enquête sur une fraude à l’assurance, que quelqu’un a mis le feu à sa voiture pour faire payer l’assurance pour un moteur qui a lâché. On travaille avec des experts et maintenant dans les clés de voitures récentes, on a beaucoup d’informations et de données. Le kilométrage, les heures d’ouverture et s’il y avait des problèmes dans le véhicule. Ça nous permet de retracer des historiques. »
Les folles histoires (la quatrième va vous surprendre).
Vous vous en doutez, les détectives ont connu des histoires assez belles. Elles vont des plus mignonnes aux plus farfelues, comme nous les raconte Hercule : « Pour une recherche de personne, j’ai aidé quelqu’un à retrouver son père qu’il n’avait pas vu depuis 20 ans. Ça a fonctionné, ils se sont vus et ils m’ont envoyé une photo quand ils se sont revus. C’était beau ». Dans la partie moins romantique : « J’ai surveillé 5 jours quelqu’un. C’était un peu atypique, c’était en Suisse. Le type était marié, il habitait chez sa maîtresse, il avait son nom collé sur la boîte aux lettres de sa maîtresse et pendant qu’il était chez elle, il sortait en boîte pour draguer d’autres femmes.» décrit Hercule. Don Juan a clairement peur pour sa carrière. Maintenant, imaginez devoir annoncer cette nouvelle aux personnes qui vous ont sollicité. C’est aussi une partie ingrate du travail, comme nous le dit Nestor : « Quand on doit annoncer à quelqu’un un adultère, on prend des pincettes. On écoute beaucoup les gens, on accompagne. Parfois ce qu’on annonce a des conséquences graves sur des familles, sur des couples… Il ne faut pas donner un rapport comme ça, il faut accompagner un peu. »
« Le détective voyage quand même dans les zones grises des relations humaines. Arnaques, mensonges, tromperies… «
Mais pour Hercule, leur travail fait aussi un grand bien : « J’ai déjà une cliente qui m’a dit que mon intervention valait 10 séances de psy tellement ça l’a rassurée dans son anxiété. D’autres fois, il faut convaincre les personnes qu’il n’y a rien, mais elles ne veulent pas lâcher ». Alors, le détective est-il le bon ou la brute dans cette histoire ? Hercule finit par nous dire que son métier est souvent source de curiosité admirative, mais dans l’univers du droit, les détectives sont encore mal perçus : « Les juges ou les avocats ont tendance à nous prendre comme des hommes de main, des ripoux. Ça vient du fait qu’avant, beaucoup de gens escroquaient en passant des heures en filatures non justifiées. Ils profitaient de la détresse des gens pour leur facturer des journées ». Finalement, ce côté un peu Al Pacino ne finirait que par rajouter un charme à ce métier déjà bien mystérieux. Quoi qu’il en soit, bon ou mauvais, le mythe persiste alors qu’on déchaînera encore nos passions en lisant un bon vieux Philipp Marlowe, ou entendant le saxo de Nestor Burma (RIP Guy Marchand).
*Tous les noms ont été changés
Texte : Paul Dufour // Illustrations : Louise Vayssié