La bédé me conduira vraiment à tout par dévotion aprés avoir, pour le travail bien sur, exploré des livres de fesses, lu et trouvé pas mal la bio de Didier Super, voilà ti’ pas que mon sacerdoce me renvoit dans les années 80, les années de folies musciales à coup de paillettes, dandysme, Mondino ou… « Chic Planète » à la sauce Affaire Louis Trio.

Là, Cleet Boris, alias Hubert Mounier, ze ex-leader de L’Affaire Louis Trio, sort un roman graphique La Maison de Pain d’Epice, journal d’un album – avec ce titre Ruppert et Mulot, surtout Mulot aurait pu nous sortir un truc… – j’expliquerais cette fine allusion à la sortie des cours à qui voudra.

Bref, Mounier mène une carriere solo, piano mais sano, depuis une petite dizaine d’années et publie là une excellente BD : c’est horrible les gens qu’ont du talent.

Le bouquin tourne autour de la sortie de son nouvel album à sortir dans quelques jours, fin février, et lui donne l’occasion de revisiter rien de moins qu’une partie de sa vie. La livre est finalement bien plus un journal intime qu’une sans concession.

Un livre dans lequel Mounier raconte, par exemple, ses rapports avec Biolay qui devait produire l’album. Je dis « devait » parce qu’il le lâche en pleine route juste avant l’enregistrement. Mounier raconte aussi, de manière assez pudique et subtile, son alcoolisme pop’rock, suite à sa vie extravagante avec son groupe, sa paternité, bref son intimité de manière vraiment… j’me répète… subtile et juste. Ca avance à un bon rythme comme une bonne fiction.

Graphiquement, c’est le charme désuet mais pas ringard de la ligne claire. Les grands bricoleurs des années 80 de ce style sont convoqués : Franck Le Gall, Serge Clerc ou Yves Challand. Un style eighties mais patiné aux années 50 / 60 omniprésentes dans les références et les renvois.

Mounier s’amuse même à détourner des couvertures de Tarzan, Akim et autres Fantôme du Bengale pour passer d’un chapitre à l’autre. Le style est léger, virevoltant. On en arrive même à regretter que Mounier n’ait pas laissé le manche de sa guitare pour le manche d’un stylo afin de se lancer dans une vraie belle carrière d’auteur de BD – seules quelques publications ont accompagné son parcours musical sans pour autant faire Oeuvre.

Bouquin libre donc, dans lequel les parties sont rythmées par son écriture, sa narration, pas par la pagination. Certains chapitres font deux planches quand d’autres montent jusqu’à dix. Le format italien et le gros papier qui sent bon l’encre font de ce « journal d’un disque » un bouquin beau à voir, à tenir dans ses mains et dont la maitrise narrative dépassent largement la personnalité médiatique de son auteur. Malgré tout le bouquin a un travers, il vous oblige à replonger dans l’histoire Louis Trio mais surtout dans la prod’ musicale solo de Mounier qui, comment dire, n’est pas aussi intéressante que du Mounier dessinateur.

Autre pépite bédéesque du moment, le dernier tome d’’Une Vie Chinoise de Li Kunwu et Pierre Otié.

Là, le tome 3 clôt un magnifique tryptique made in China. D’habitude cette appellation évoque sacs Vuitton, crocodiles Lacoste et parfums de contrebande. Cette Vie Chinoise est le contraire des clichos lu, vu et répandu. Le parti pris annonce clairement le pourquoi du comment de la réussite du projet. Dessiner à hauteur d’homme, à l’échelle d’une vie et à la 1ère personne, les profonds bouleversements de la Chine Communiste ™, la très sainte et majestueuse République Populaire de Chine ™ depuis les années 50. Ce dernier chapitre couvre, peut-être un peu rapidement, les années 1970 – 2010. Après la remise en question des dogmes maoïstes, le sérénissime Deng Xiaoping fout définivement le communisme par dessus tête et développe l’entreprise privée. Li, l’auteur/perso principal, est dessinateur de presse d’un des principal canard du pays. Son métier et son origine sociale, fils d’un dirigeant régional historique du PCC, l’amènent à croiser toutes les strates de  la société : les recalés du développement économique et les très très grands patrons en devenir.

Ce que nous montre ce livre, et c’est peut-être une vision révisionniste au sens des opposants historiques chinois, c’est un pays léthargique, fatigué par toutes les erreurs de ses dirigeants et prêt à tout pour « se développer, gagner plein de tunes, faire du bizzzniz » à partir de la fin 70. Les considérations (nos considérations ?) sur la liberté individuelle, l’épanouissement loin de l’ombre d’un Etat tout puissant, la justice, finalement les Droits de L’Homme passent au second plan. L’auteur nous prévient :  89 ? Tian’anmen ? J’étais loin de Pékin, ça n’a pas fait tant de bruit que cela et après tout, nous on veut de l’ordre et du calme dans le pays. Peut-être avaient ils raison de se révolter mais… passons à autre chose. Et on tourne la page.

Graphiquement, c’est toujours superbe : noir et blanc, plein d’énergie, de vitesse, d’angles et de points de vues décentrés à la manière de la tradition des perspectives chinoises. Chaque case regorge de détails aussi parlants et instructifs que les situations et les dialogues.

Bouquin sans morale, cynique proto capitaliste ? Même pas, bouquin intéressant, drôle par moment,  qui donne l’impression de porter un souffle « so chinois », authentique, forcement à contresens, rare. Et comme on dit là bas, en écoutant Cleet Boris et sa bande : « Dà F?ng Xíng X?ng, w? shàng bi?n* »

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*Chic Planète… dansons dessus

La Maison de pain d’épice : journal d’un disque – 112 pages – Ed. Dupuis (autour de 20 €)
Une vie chinoise, tome 3 – 254 pages – Ed. Kana (autour de 19 €)

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