Marcos Ortega, alias Lorn, est un ovni de la bass music américaine. Signé chez Brainfeeder, label de Flying Lotus, il ne partage pourtant pas grand chose avec la star californienne. Dans son premier album Nothing Else sorti en 2010, il parvient à exprimer, avec une grande justesse, un passé chaotique et décousu. Instru résolument hip hop et envolées de synthé plaintives, difficile de trouver un point de comparaison avec Lorn. C’est pourquoi nous avons fait le déplacement à Lyon, lors des Nuits Sonores,  pour voir si le set du jeune homme tenait la route. Pari réussi : les enchaînements sont maîtrisés, il reprend certains de ses morceaux phares tout en nous gratifiant de nouveaux sons. Il vit son set à fond et ça se voit ; son visage se tord à plusieurs occasions,  il hurle ses lyrics sur le public, dressant ses bras vers le ciel… L’une des meilleures performances de cette édition 2011 aux dires de certains.  Il est 3h du mat’, l’interview commence dans le fond d’un préfabriqué Algeco.

English version here.
__

SPARSE : Ca veut dire quoi Lorn ?
Lorn : Je pense pas à sa signification, je sais pas trop ce que ça signifie.

C’est pas un terme de vieil anglais qui veut dire « perdu » ?
Et bien oui… en fait ça veut dire quelque chose (rires). Bon, j’imagine que je devrais reprendre l’histoire depuis le début parce que quand j’étais enfant, j’avais l’habitude de m’asseoir dans le salon de ma mère sur cette chaise merdique, et pour je ne sais quelle raison, un jour j’ai pensé à me trouver un nom et « Lorn » m’est venu  à l’esprit. Mais ça ne voulait rien dire… juste un nom…. comme un surnom. Comme tu sais, tu t’appelles David, je t’appellerais Dave.

Sauf que ton prénom c’est Marcos.
Je suis Marcos mais je déteste mon père, c’est pourquoi je me suis toujours senti honteux de m’appeler ainsi parce que c’est de lui que je tiens ce nom, d’où la naissance de Lorn.  Plus tard j’ai appris qu’en effet ce surnom signifiait « perdu / seul / abandonné », ça correspondait assez bien à ce que je faisais.

Et bien, c’est un bon début… Tout ça s’est passé dans l’Illinois ?
Non, je n’ai jamais cessé de bouger, j’ai été baladé entre les différents membres de ma famille… Je vis à Milwaukee maintenant.

Et tu fais quoi là bas ? Te concentres-tu uniquement sur la musique ?
C’est ça. Je crois que ce choix de Milwaukee date de l’époque où je vivais à New-York à 18 ans et je pensais que j’allais faire de la musique, diviser le monde en deux, mais ça s’est pas passé du tout comme ça. J’ai dépensé tout mon argent, j’ai beaucoup bougé et je me suis installé ici parce que c’était 150 $ par mois de loyer. J’ai un coin studio de taille décente, je suis entouré de bons potes, des gens qui m’aiment. C’est simple. Ca ne fait que quelques années que je fais seulement de la musique.

Et tu as quel âge ?
J’ai 24 ans, mais je me sens plus vieux au fond. Non pas que je sois plus sage, juste plus fatigué,  je devrais moins me poser de questions… il y a beaucoup de « moins » chez moi, pas beaucoup de « plus ».

Je voulais te demander pourquoi ta musique était si torturée, j’imagine que c’est un peu bête de la formuler maintenant…
Avec Nothing Else, et bien oui, c’était sans détour. J’ai eu une enfance merdique, constamment baladée entres différentes personnes, qui pouvaient s’occuper de moi et qui avaient envie de le faire. J’essaie pas d’en faire une montagne, maintenant j’ai grandi et je suis ici mais peu importe, c’est toujours en moi. Ce sentiment de pas savoir d’où je viens, ce qui est vrai… J’essaie juste de mettre à nu quelque chose de presque primitif, un truc simple dans mon esprit auquel je puisse me rattacher.

Je pense avoir fait cet album dans le but de créer quelque chose et de le finir complètement, pouvoir le laisser… et peut-être qu’après je pourrais dormir la nuit et me sentir mieux, faire des trucs normaux. Non pas que je sache vraiment ce que cela signifie parce que depuis la fin de l’album, j’arrête pas de faire des soirées, c’est tellement un honneur de pouvoir visiter le monde.

C’est ta première fois en France  ?
Non. Mon premier show à l’étranger était à Bourges, dans le garage le plus sale que j’ai jamais vu ! Ca remonte à 2009, c’était incroyable, on aurait dit un concert punk.

Comment s’est passée la rencontre avec Flying Lotus ?
FlyLo est venu me parler sur Myspace, il y a trois ans de ça, me demandant plus de morceaux. On a continué ensuite à échanger par mails.

Mais comment il a atterri sur ta page Myspace ?
De ce que je me souviens, Gaslamp Killer a joué un de mes morceaux dans une émission radio à Los Angeles, c’est comme ça que FLylo m’a entendu.

Tu aimes ce qu’il fait ?
Oui, j’ai toujours été un grand fan.

Tu aimes Cosmogramma ?
Bien sûr, c’est brillant.

Il est vraiment populaire aux Etats-Unis ?
Je sais pas. Je reste à la maison, je sais pas comment ça se passe.

Donc tu pourrais pas nous dire quel est le temple actuel de la bass music aux USA ?
Low End Theory. LA. L’équipe de Daddy Kev a vraiment été pionnière dans ce domaine. C’est lui qui a construit la réputation de ce club. Il n’a vraiment pas froid aux yeux quand il s’agit de faire venir des artistes. Il organise à la fois des soirées dubstep, hip hop, expérimental. C’est l’endroit où tu peux entendre le futur en premier aux USA, et ça fait un bail que ça se passe comme ça.

Tu penses quoi de Skrillex ?
Je le connais pas.

Pourquoi l’album est si court ?
Il dure 32 minutes. Au moment de la composition, j’étais dans un endroit bizarre, et quand je pense à tout ça maintenant, je me dis que c’était un travail d’adolescent, j’ai beaucoup appris depuis. Le titre et le reste, la signification, tu sais je pensais que ce serait tout. Je pensais que cet album serait une sorte d’héritage, que j’allais me suicider, « boo-fucking-hoo ». Je m’en foutais de la longueur, ça signifiait tellement de choses pour moi cet album. C’est tout ce qui devait se passer et « rien de plus » (« nothing else »). Et pourtant je suis là.

Donc il y a eu cet album, puis tu as mis en ligne une compilation de morceaux que tu n’as jamais fini, Self Confidence, pourquoi ?
La première compilation est sortie en 2008, bien avant l’album, c’était une sorte de notice, un fichier en ligne avec des morceaux téléchargeables. Pour moi il n’est pas question de stratégie ici : si je fais quelque chose, même si je ne le transforme pas, je veux pas que ça reste là, en sommeil sur mon ordinateur. Je préfère de loin le donner, laisser les gens se faire leur opinion, qu’ils aiment ou qu’ils détestent.

Il va y avoir un second album ?
Bien sûr, je travaille dessus en ce moment. Et c’est quelque chose… il y a une sorte de chaleur dans mon coeur à ce sujet, une sensation que je n’avais pas ressentie depuis longtemps.

Ta dernière découverte musicale… ?
Je suis complètement amoureux de Rick Ross.

Tu en as joué ce soir ?
Non mais j’aurais dû. Ce soir j’ai passé Johnny Moog, le remix que j’ai fait de Notorious BIG (Suicidal Thoughts) et un morceau de Ace Hood.

Tu connaissais les lyrics par coeur…
Oui, je suis un grand fan.

Tu as déjà envisagé de travailler avec des rappeurs ?
Oui j’aimerais ça. Mais c’est pas facile de communiquer avec ces gens.

Tu regardes des séries ?
De temps en temps, parfois je regarde The Office.

Et « Mon Oncle Charlie ? »
Non. Quand j’étais en Angleterre il y avait cette chaîne « Fever » et ils passaient « Mon Oncle Charlie ». J’ai toujours pensé que c’était une blague, la façon dont Charlie Sheen se comporte, l’image qu’il donne de son mode de vie. Oui cette série est stupide, je pense pas que beaucoup d’américains la regardent. J’espère que non ; il y a un paquet de sitcoms américains nazes, pour moi le dernier bon sitcom remonte à « Seinfeld ». Tout ce qui vient après peut aller se faire foutre.

Tu écoutes des artistes français, en dehors de Mr. Oizo ?
(rires) Oui j’adore ce putain de Mr. Oizo, c’est une légende. Je viens de rencontrer Danger à l’instant dont je suis le parcours depuis un moment. Sans oublier Daft Punk et Sébastien Tellier, j’adore sa musique. « La Ritournelle », ce morceau est une tuerie.

Y’a t’il quelqu’un en Europe avec qui tu aimerais collaborer ?
Je ne sais pas… Est-ce que John Cage habite en France ?