Aujourd’hui, on parle du gros livre de l’année, et pas simplement à cause de ses 265 planches. Un gros livre, parce que certainement le livre de l’année…

Les Ignorants d’Etienne Davodeau, est un bouquin incroyable, improbable. Improbable surtout pour moi, parce que Davodeau, habituellement, c’est pas ma tasse de thé. Ce livre a été pour moi une immense surprise et surtout un vrai plaisir de lecture. Prenons dans l’ordre. Les Ignorants, c’est un récit initiatique. En fait nan, c’est bien mieux et bien plus que ça… Davodeau raconte sur la longueur sa découverte du vin, de la vigne avec Richard Leroy un viticulteur de l’Anjou.

-Je précise pour les Bourguignons indécrottables, qu’au-delà d’la côte y’a du vin aussi, et pas seulement dans l’8-9, Chablis, Irancy, la cuvée Emile Louis… etc. Plein ouest, direction la mer, au-delà d’la Nièvre, y’aussi des pieux avec des cèpes de vignes sur un joli terroir qui donne des Anjou rouges fruités et velouteux, et les fameux Coteaux du layon, sucrés.-

Le point viticole fait, on en revient à Richard Leroy qui cultive ses blancs secs. Notre Davodeau décide, ça c’est dommage, on sait pas comment et pourquoi, de passer une année, 4 saisons, à ses cotés : les deux pieds dans la boue et le sécatos à la main. Pour quoi ? pour apprendre le vin : cette passion, ce travail. Alors c’est pas trop technique non plus, c’est pas l’histoire d’un CAP viticole. C’est l’histoire d’une rencontre, d’un échange parce qu’en retour de cette découverte, Davodeau va initier notre viticulteur à la bédé.

Fermentation malolactique contre encrage, cadrage et édition. Quand Richard, fabriquant de vin, lui fait déguster des crus, Davodeau, le dessinateur, lui ouvre les portes de la bédé d’auteur. Contre une rencontre avec un viticulteur du Jura, l’autre lui fera rencontrer Marc-Antoine Mathieu ou Guibert. On voit les deux s’épier et se réjouir des progrès de l’autre dans sa discipline.

La naïveté de l’un rivalisera avec celle de l’autre, le dessinateur dénigrant dans une dégustation à l’aveugle le pinard créé amoureusement par le viticulteur. L’homme des bouteilles et des futs taillant simplement, gentiment, le travail d’un dessinateur en sa présence.


C’est le plaisir de l’altérité, la curiosité, qui inspire, force les deux à se rapprocher, à se découvrir encore plus, à plonger dans un monde, une passion nouvelle. Et c’est certainement l’élément primordial. Davodeau sait raconter. Bien sur dans la construction des chapitres mais aussi dans les dialogues sensibles ou analytiques. Davodeau nous offre les échanges de pensées, en pesant les mots et en gardant vivantes les saillies et les réflexions.

Le livre est rempli de clins d’œils auto-référenciels : la rencontre avec Guibert, formidable auteur de bédé, qui comme Davodeau fait de l’histoire des autres, médecins au Pakistan, anciens combattants de la guerre de 45, de formidables histoires universelles. Ou encore Trondheim, convoqué par les lectures de Richard Leroy, égratigné par le viti’ et qui se fendra d’une planche cabotine en réponse.

Et enfin, enfin, le noir et blanc, le livre, le roman graphique, n’est pas colorisé. C’est un joli noir et blanc, léger, crème, ivoire. Un lavis d’encre de chine qui fonctionne parfaitement avec les personnages ronds et sensibles de cette histoire. A l’arrivée, Davodeau en sait plus sur les vins, la biodynamie et Richard sur l’écriture et la conception d’une bédé, et du coup c’est un gai savoir qui prend forme sous nos yeux.

Si c’est pas le livre de l’année c’est au moins le grand livre de la rentrée 2011. Si vous avez 25 euros à dépenser dans un livre, malgré la hausse de la TVA, c’est absolument dans celui-ci ! Les Ignorants, c’est une histoire de partage… et nous, heureux spectateurs, on assiste à ces moments.

Martial

Les Ignorants – Etienne Davodeau – Futuropolis, 25 euros

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Retrouvez la chronique bédé de Martial sur les ondes de Radio Dijon Campus tous les mardis à 8h40 et vers 12h20.