C‘est un grand dandy filiforme qui nous a rejoint dans la loge de La Vapeur après ses balances ce samedi 12 mars. Dynamique et souriant, à l’image de toutes ses vidéos youtube, Paul Van Haver qui fêtait ses 26 ans ce jour là nous a consacré une demie-heure de chat, en toute quiétude. Elu bruxellois de l’année,  numéro 1 des charts dans plus de 20 pays à la sortie de son deuxième single Alors on danse, le jeune homme a su garder les pieds sur terre et le noeud pape haut perché dans les étoiles. On l’a un petit peu cuisiné sur son style, l’album de James Blake, la révolution des frites et son hypothétique remix de Brel.

SPARSE.FR : Te voilà à Dijon pour ton concert ce soir, c’est ton anniversaire d’ailleurs aujourd’hui ! Alors bon anniversaire !
Stromae : Oui j’ai 26 ans aujourd’hui, je suis un grand garçon…

Tu connais un peu Dijon ?
Ben non, à part la moutarde… c’est tout.

Mais en dehors de la moutarde, il y a Vitalic aussi, ça te dit quelque chose ?
De nom oui.  Je sais que c’est un grand classique mais je ne connais pas très bien. Mon ingé son est un fan mais j’ai jamais écouté consciencieusement. J’ai sûrement entendu des morceaux mais je n’ai jamais écouté à mon aise.

Au niveau du phrasé et de la voix on te compare souvent à Gaëtan Roussel, moi je trouve qu’il y a quelque chose de Brel…
C’est un très beau compliment et je pense que c’était dans un premier temps fait de manière inconsciente pour Alors on danse et on m’a fait cette remarque là, ça m’a beaucoup touché. J’étais en pleine ouverture musicale à l’époque ; je sortais d’un hip-hop plus ou moins intégriste et le fait qu’on fasse comme ça des comparaisons auxquelles je m’attendais pas du tout comme pour Gaëtan Roussel, c’était assez surprenant. C’était un peu prévisible pour Brel parce que je l’ai beaucoup écouté mais ça s’est fait de manière inconsciente sur le single.  Dans Te Quiero c’était clairement un clin d’oeil, avec Ceci n’est pas un clip, le face caméra, avec ce plan séquence et le côté rétro c’était totalement voulu. Après, jamais j’oserais me mettre au niveau du grand monsieur qu’est Jacques Brel. En tout cas c’est un grand professeur au niveau de l’interprétation des chansons.

Pourquoi avoir fait une reprise symphonique d’Alors on danse ?
L’idée venait d’un des directeurs artistiques, Romain Bilharz. Le morceau a fonctionné à mort mais le problème c’est que les gens comprenaient pas bien les textes. Donc on s’est dit que la manière la plus judicieuse de mettre le texte en avant c’était de le jouer sur un autre style de musique. C’était à contre-pied du morceau original, et une bonne idée de sa part, pile au moment ou il y avait les orchestrales de Brives-la-Gaillarde, un rassemblement de jeunes musiciens encadrés par Dominique Spagnolo qui a gentiment accepté de faire un réarrangement philharmonique du morceau. Parce qu’au final, on n’avait pas bien saisit le malaise dans ce morceau, version électronique. On savait qu’en ramenant le même texte sur de la musique accoustique, là, forcément les gens allaient comprendre le tout différemment.

Tu dis être pessimiste pour voir les choses du bon côté ? Pourquoi ?
Tout est parti de mes examens quand j’étais encore au lycée. Quand j’imaginais alors que je réussissais un examen et bien je le ratais, et inversement. A force j’ai commencé à me dire que j’allais juste tout rater pour être comme ça jamais déçu, même agréablement surpris parfois. J’ai appliqué ce principe à ma vie de tous les jours.

Tu penses que c’est un sentiment partagé par les gens de ta génération ?
J’ai l’impression qu’on a tout vu et tout vécu par appropriation, alors qu’en vrai on n’a rien vécu. Je développerai pas plus loin que ça mais c’est mon ressenti. C’est un peu ça si t’écoutes l’album ;  l’histoire d’un mec qui te parle de la vie comme s’il avait tout vécu quinze fois alors qu’il n’a rien vécu du tout.

C’est quoi le dernier morceau qui tourne en boucle chez toi ?
Je crois que c’est Night Air de Jamie Woon. Simon, un de mes musiciens me l’a fait découvrir. James Blake aussi, Limit to your love.

T’as écouté son album ?
Oui je l’ai écouté, le mec se fait plaisir j’ai l’impression. Il a fait son délire, la prod a suivit derrière. Il a raison de faire ce qui lui plait, d’ailleurs on fait tous ça, au moins en théorie…En tout cas c’est une belle gifle cet album, une vraie leçon de son. Au niveau de la production, il y a un énorme travail, bravo à lui.

D’ailleurs dans tes « Leçons de Stromae », on voit un mec nonchalant, drôle… Est-ce que c’est vraiment toi ?
Mon manager voulait que je fasse des vidéos, genre télé réalité… c’est son point de vue très américain, et moi je ramène ça toujours à la Belgique, un coté plus terre à terre, plus humble, et donc je lui ai proposé de faire des vidéos plus légères sur comment je suis dans la vie vraiment. C’est à dire à la fois con, un peu sérieux, des fois profond. Le but des leçons c’était de faire un truc ludique, c’était pas destiné à apprendre aux gens à faire de la musique.

Comment s’est passé la rencontre avec Jamel ?
C’est l’idée de Romain Bilharz, encore lui, qui connaît assez bien toute l’équipe de Jamel. Je savais qu’il faisait un DVD, j’aimais cette idée qu’il avait eu de faire participer des jeunes talents. On s’est rencontrés et on a fait cette vidéo. C’est drôle d’ailleurs puisque suite à cette vidéo, il y a eu des rumeurs très sérieuses disant que Jamel écrivait mes textes et composait ma musique.

Ca a pris une certaine dimension donc…
(rires) Voilà oui, exactement.

Au niveau de ton style vestimentaire, c’est le relooking spécial Stromae ou t’es un vrai fashionista ?
Non j’aime beaucoup la mode. Même à l’époque quand j’étais très hip-hop je mettais des habits amples. D’ailleurs il y a des dossiers de moi sur Internet dans le clip Faut que t’arrêtes le rap où j’ai un jogging qui est quatre fois trop grand pour moi. J’ai changé de style au lycée quand ma famille m’a dit qu’il fallait que je m’intègre un petit peu en m’habillant de manière plus conventionnel. J’ai tout à fait compris, en même temps j’avais pas trop le choix, et donc j’ai commencé à m’habiller de manière beaucoup plus classique. Je trouvais ça plus intéressant dans les clips de rap d’être habillé comme ça là où on t’attend avec une casquette et un jogging. Au début j’ai ajouté le béret et puis finalement j’ai décidé de mettre carrément mes trucs slim… rien à foutre… mettre des habits un peu spéciaux, un peu flashy. Et je me suis complètement lâché avec mon noeud pape. C’est là que j’ai commencé à comprendre pourquoi des artistes comme Elton John pouvait mettre des combinaisons que personne d’autres pouvaient mettre. (rires)

C’est à dire ?
Ben c’est à dire que c’est un luxe de mettre ce qu’on veut. Si tu veux mettre un costume jaune fluo et bien tu peux, et ça c’est un luxe, ça fait aussi parti du jeu, je trouve ça cool. Tu peux t’exprimer pas simplement avec la musique, mais à travers la sape aussi.

Tu as fait des études de cinéma, tu comptes en faire quelque chose ou tu restes axé sur la musique ?
Je m’en sers déjà aujourd’hui puisque je co-réalise mes clips. Mais c’est vrai que je mettrais bien les pieds dans le cinéma/fiction…

J’ai lu que tu voulais faire la BO d’un film Pixar… Pourquoi Pixar ?
Ce serait mon rêve oui. Chez Pixar il y a cet aspect tout public mais intelligemment fait et puis le côté très drôle, universel. Je suis fan de cette manière de travailler. Et même si de prime abord cela s’adresse aux enfants, il y a un certain level qui rend le tout appréciable pour nous, et les scénarios sont hyper bien faits. Quand tu vois Toy Story, du 1 jusqu’au 3 c’est super bien rôdé.

Ton avis sur la crise en Belgique ? La révolution des frites ?
Alors déjà ça prouve qu’on a un sens de l’humour même dans les pires moments. Et puis à un moment on commence tout doucement à avoir honte aussi je crois. Et on va demander au politiciens de faire leur boulot parce que tout le monde fait le sien… Il y a des gens qui font leur pain tous les matins, d’autres qui font leur musique et donc il y a les politiciens aussi qui vont travailler. On va leur demander de faire leur taf tout gentiment parce qu’ils commencent à se foutre de la gueule des gens et il faut juste trouver une solution. Mais sinon je pense qu’on extrapole parce que les citoyens belges s’en foutent un peu au fond.

C’est pas le problème communautaire, le problème c’est l’argent. Rien à voir avec le fait de parler ou non néerlandais, ça c’est des conneries. Monsieur et madame tout le monde apprennent à vivre comme ça ; je te parle en français et tu me réponds en néerlandais… Je te comprends à moitié et tu me comprends à moitié. On arrive à communiquer.

Tu parles flamand d’ailleurs ?
Ein beetje…

T’as vu le dernier film de Dany Boon sur les duo de douaniers franco-belge ?
Je l’ai vu en avant première et j’ai bien aimé. J’ai trouvé qu’il était de bien meilleure qualité que « Bienvenue chez les ch’tits ». Techniquement l’image est beaucoup plus belle, ça n’a rien à voir. Au niveau visuel, le premier film faisait vraiment téléfilm alors que « Rien à déclarer » est plus cinéma et notre Poelvoorde qui fait ça hyper bien… c’est une bonne comédie.

Pourquoi avoir fait le choix du français plutôt que de l’anglais dans tes textes ?
Et bien déjà parce que je ne le parle pas (rires). Le français étant ma langue maternelle, fatalement c’est celle que je maîtrise le mieux. Peut être que je chanterais un jour en anglais, j’intègre déjà quelques mots dans mes titres de l’album parce qu’on vit aussi comme ça entouré de petits mots anglais. Sinon plus loin que ça j’aurais pas la prétention de m’estimer poète en anglais ou en néerlandais, c’est un peu tendu. Même en vérifiant mes textes, je me sentirais pas à l’aise, faut que ça vienne de moi de toute façon. Y’a pas de raison de passer à l’anglais aujourd’hui. Et puis Alors on danse a bien marché partout en Europe, même en Allemagne. On va au Mexique  à la fin du mois… au Brésil bientôt ; si ça fonctionne en français, ce serait dommage de changer.

T’en es où du remix de Brel ?
Ah bon ? J’avais dit que j’allais en faire un ? A un moment si toi tu t’y attendais c’est que je devais pas le faire… Dans le sens où c’est mon travail de surprendre,  et c’est sur que lorsqu’on m’a dit que mon répertoire était un peu restreint pour un concert vu qu’il fait une heure et demi max, on a dû faire des reprises, prendre dans le répertoire d’autres artistes et j’étais trop attendu sur Jacques Brel. Alors j’ai préféré reprendre des choses ailleurs comme avec Arno, le morceau Putain, putain. Il est venu chanter à Rennes, puis au Bataclan, c’est devenu un ami grâce au morceau.

On va finir sur cette petite sélection de vinyles que je t’ai ramené, si tu pouvais en choisir un, lequel choisirais-tu ?
Je peux le prendre avec moi vraiment ??

Euh….
(rires)… Non ?! Ok, bon ben écoute….

On n’est pas sponsorisés par la Fnac encore, désolé…
Tu connais le premier, la compilation Tumbélé ?
Non… C’est de la rumba congolaise ?

Non, mais je sais que tu es fan ! C’est signé par Hugo Mendez, qui concentre les plus belles perles des Antilles françaises des années 60-65, avant que le zouk arrive et casse tout, en bien ou en mal…
Je ne connais pas mais ça a l’air intéressant ! Joli visuel.

Ensuite, tu reconnais… un single de Jacques Brel, ton compatriote !
Oh ! Brel avec des cheveux longs. Ca c’est du dossier ! (rires)

Ensuite un classique… Thriller de Michael Jackson…
Miiiiiiiiiiichael ! (cri aigu pour reprendre la voix du king of pop)

Orlando Julius, afro-beat de dance-floor, une perle !
Ok, connais pas…

Celui la, c’est Maestro, signé sur le label parisien Tigersushi, tu connais ?
Maestro ! Ça me dit rien… Mais rien que pour le nom je trouve ça intéressant, ça ressemble à quoi ?

Et bien en fait, cela semble être une musique aussi hybride que la tienne, de mon avis. Mais dans une veine plus indie-rock-bizarre.
Ok, et bien je prends celui là, Maestro !

Ca roule, merci pour la discut’ Stromae, passe un bon concert, les dijonnais vont être chauds je pense !
Merci à toi aussi, à bientôt.

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Interview : El Pescador & Sophie Brignoli
Photos : Gabi.
Merci à Stromae, Delphine & La Vapeur.