On aperçoit l’icône, peinarde au milieu du Starbucks de Dijon, lisant l’Equipe alors qu’il a Sparse dans son sac. Son nom est Mangione, Stéphane Mangione, l’ancien ailier du DFCO qui a vendu beaucoup trop de rêve au début des années 2000. Le Steph s’est livré. Football pro, amour de Dijon, reconversion et Franck Ribéry, on a tout passé au peigne fin. Entretien copieux, certifié sans langue de bois.

Bon Stéphane, t’as passé 9 ans au DFCO, t’es le joueur qui a disputé le plus de match avec près de 290 matchs et une cinquantaine de buts. T’as été le chouchou de Gaston Gérard, le gars du coin. T’en gardes quel souvenir ?

La fierté et le sentiment du devoir accompli. J’ai eu la chance d’être du cru, les gens sont plus indulgents, puis quand t’es performant, t’es vite en haut de l’affiche. J’ai côtoyé des entraîneurs fabuleux comme Rudi Garcia, des coéquipiers énormissimes dans ce club reconnu pour ses valeurs familiales. Puis j’ai fait de ma passion et de mon rêve de gosse, mon métier, devant mon public, ma famille, mes potes. C’est une vraie richesse de réussir dans sa ville. A toute proportion gardée, tu as des mecs comme Totti, Maldini, Gerrard qui ont performé chez eux, dans leur ville, c’est une autre dimension mais réussir chez soi, c’est un vrai plus. 

D’ailleurs, tu as connu la fusion et les premiers pas du DFCO…

Je suis issu du Dijon FC, le club ouvrier et populaire, qui a fusionné avec le Cercle, le club plus installé. A 18 ans, j’ai joué avec le DFCO en CFA, je sortais d’une grosse année avec le Dijon FC et mais là c’était plus compliqué. L’entraîneur, Noël Tosi, ne faisait pas trop confiance aux jeunes et s’est fait virer. Daniel Joseph, que j’ai eu avant, a pris les rênes de l’équipe et j’ai fait une belle saison pour signer mon premier contrat professionnel à Nîmes, plus tard en 2003.

Tu y fais un an et tu reviens à Dijon…

Oui, c’est ça. Je fais une bonne année en National avec Nîmes, c’était vraiment bien les premiers pas dans le milieu pro. Par la suite, j’ai eu de gros soucis familiaux qui m’ont ramené sur Dijon. J’avais des liens forts avec Rudi Garcia et Fred Bompard (son adjoint), ils m’ont accueilli et ont beaucoup assuré à cette période de ma vie. J’ai toujours des contacts avec eux.

« Dijon a toujours été une évidence pour moi »

 

C’était comment avec Rudi Garcia ? Le mec s’est constitué un sacré CV depuis…

Il m’a entrainé 5 ans, il est tellement fort pour gérer un groupe, humainement et professionnellement, j’ai pris tellement de plaisir. Son projet de jeu valorisait les joueurs offensifs comme moi. Je jouais souvent titulaire avec lui. C’est un très grand souvenir puis après il a eu une carrière exceptionnelle. On sentait qu’il était très compétent et qu’il savait très bien s’entourer.

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D’ailleurs, toi, tu fais 1m69, t’avais un profil atypique, ça a pas été un handicap pour toi, à cette époque ? On sait que les petits gabarits ne faisaient pas trop partie de la culture du football français à l’exception de quelques-uns.

Ouais. En jeune, ça m’a porté préjudice. Les critères de performance étaient basés sur le jeu athlétique, physique, grand gabarit, conquête du ballon etc… Les sélections de jeunes et les détections ont été compliquées par moment. J’avais réussi les tests à l’A.J.A en 1993 et aussi à Louhans. J’ai pas supporté ces expériences et l’éloignement, même si Auxerre m’avait mis dans une famille d’accueil. Les miens me manquaient trop, mon environnement dijonnais aussi.

Tu en penses quoi du DFCO d’aujourd’hui d’ailleurs ? Le club se structure plutôt bien.

Ouais, ils sont compétents dans tous les domaines. Que ce soit la formation, la pré-formation, la cellule de recrutement, le staff et Olivier Dall’Oglio que j’ai eu à Nîmes. Olivier colle parfaitement à l’environnement du club. Ils ont gardé l’image d’un club familial, ça joue bien, Dijon produit du beau jeu, ça fait venir du monde au stade, et forcément de l’exigence. On sait que le public du football est intransigeant.

« J’ai joué contre Trézéguet, Henry, Ribéry. On ne fait pas le même métier »

 

Et toi, Stéphane, comment ça se fait que tu n’aies pas joué plus haut ? 

Bon, déjà, je suis parti de Dijon en 2009, avant que le club monte. Je m’entendais pas vraiment avec Patrice Carteron, y’a eu des petites étincelles. J’ai eu 2 opportunités avec le Metz de Jean Fernandez qui venait de perdre Ribéry en 2005, puis le Lorient de Christian Gourcuff en 2008, là je commençais à avoir de l’âge. En toute humilité, je pense que j’étais un bon joueur de Ligue 2, et j’ai peut-être préféré être un grand dans la cour des moyens qu’un moyen dans la cour des grands. C’était pas de la peur. J’étais tellement dans le confort en Ligue 2 et passionné de jouer au foot que je n’avais pas envie de prendre le risque de jouer en Ligue 1 pour peut-être faire 5 matchs et juste gagner plus d’argent. Ça ne m’intéressait pas. Je ne regrette pas ces choix, comme aucun dans ma carrière. Puis Dijon a toujours été une évidence pour moi, j’avais tout à portée de main ici…

Mangione 2018

Tu la kiffes ta ville…

Ouais ! Tout me plaît ici. J’estime être quelqu’un de très mesuré. Je savais que Dijon était un club sain, sportivement et financièrement. J’aime la stabilité, puis la ville est belle, tranquille. J’ai eu plein d’occasions de partir en tant que joueur, pour ma reconversion aussi mais Dijon, c’est ma ville. J’ai même voulu revenir ici après mes passages à Amiens et Orléans.

Y’a des gens qui t’ont impressionné dans ta carrière ?

Bof, nan. On jouait des grosses équipes de Ligue 1 en pré-saison. Quand tu vieillis dans ce milieu là, tu ne deviens plus admiratif de ces joueurs là. C’était top de jouer Paris, le grand Olympique Lyonnais des Benzema, Juninho, Wiltord, Cris. Sinon, j’avais joué Ribéry plusieurs fois en Ligue 2, il est impressionnant. J’ai joué contre David Trezeguet et Thierry Henry en Coupe de France quand ils étaient tout jeunes à Monaco, j’avais 17 ans. C’est là que tu te dis, on ne fait pas le même métier. J’ai toujours respecté ces joueurs sans trop leur cirer les pompes. Aujourd’hui, tu as des jeunes qui font des selfies avec leur adversaire, font tout pour avoir les chaussettes, c’est pas dans mes valeurs.

« Des fois, j’avais le côté égoïste « con », par exemple, quand tu es sur le banc et que tu es limite content que l’équipe ait fait match nul »

 

Qu’est-ce qui t’a procuré le plus d’émotion dans ta carrière ?

Je vais peut-être passer pour un mec égoïste mais c’est marquer des buts. L’émotion que ça procure de marquer devant du monde, c’est dingue. Tu vois les gens en délire, tes proches qui sont fiers. Pour te dire, une montée en national, un titre, me reste moins qu’un but. J’ai les images précises de buts magnifiques, mais de buts moches aussi, quand on sort Bordeaux en Coupe de la Ligue en 2004, à la 120ème minute. C’était unique.

T’as pas peur de passer pour un mec justement « trop égoïste » en disant ça ?

Même si on fait un sport collectif, faut avoir une part d’égoïsme pour réussir. C’est un paradoxe et un équilibre, car faut gagner sa place en même temps et respecter le projet collectif. Je me souviens de joueurs qui s’en foutaient d’être sur le banc, d’autres beaucoup moins. Par exemple, Vedad Ibisevic ( NDLR : un attaquant bosnien qui a empilé les buts en Bundesliga, le championnat allemand) était un putain d’égoïste, un bon mec aussi, mais on se frittait par moment. Il faut l’être, depuis que j’ai eu l’envie d’être pro, vers 13 ans, ça m’a permis de me forger, c’est important, surtout quand tu as ma taille.

 

T’étais comment dans le vestiaire ?

Un mec qui avait un caractère bien trempé. J’étais sans doute pas le plus facile à gérer, mais je pense être une bonne personne et avoir un bon fond. On peut même dire que j’étais chiant et pénible quand j’étais sur le banc. Des fois, j’avais le côté égoïste « con », par exemple, quand t’es sur le banc et que tu es limite content que l’équipe ait fait match nul sans toi. Maintenant, en tant qu’éducateur, j’inculque le contraire, tu changes forcément quand tu vieillis et tu te rends compte que c’était trop. Sinon, j’étais toujours à l’écoute des plus anciens, David Linarès, Stéphane Jobard etc.. Ces gens m’ont apporté énormément.

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Et maintenant, ça se passe comment la vie pour toi ? La reconversion ?

Elle est super dure. Tu fais tout à l’envers. Tu gagnes de l’argent tôt, tu fais ce que tu aimes tôt et tu es en retraite à 33 ans. J’ai actuellement la chance de faire ce que j’aime, en tant qu’éducateur et formateur BPJEPS dans le sport. C’est dur parce que quand tu es un joueur de Ligue 2 comme moi j’étais, la reconversion ne vient pas forcément à toi. En plus, je ne digère pas mon passé, être joueur me manque. J’entraîne Selongey en National 3 en ce moment, j’ai une totale liberté. Ça me permet d’apprendre et de partager mon expérience. Je sais pas si je vais faire ça toute ma vie, j’ai tellement aimé le monde pro, aujourd’hui les difficultés logistiques du sport semi-pro me lassent par moment, mais c’est comme ça et ça m’apporte. De l’autre, tu as le plaisir de faire progresser un groupe avec des idées, des compétences, des convictions. C’est très formateur, nos faibles moyens nous obligent à exploiter au maximum le potentiel des joueurs. Quand tu as pas de moyen, faut travailler l’organisation et l’aspect purement football.

T’as des ambitions dans ce métier ?

Je sais pas si c’est bien d’avoir trop d’ambition dans ce métier en amateur/semi-pro, tu mêles ta famille à des sacrifices, tu risques d’être lâché du jour au lendemain, et de tomber potentiellement dans la précarité. C’est un métier qui peut être ingrat. Ce qui me plaît c’est le recrutement, encore plus qu’entrainer sans doute. Mais les sensations d’entraineur ressemblent assez à celles de quand j’étais joueur. Je reste attaché à ma liberté et aujourd’hui cette situation me convient.

T’aimerais retourner dans le monde pro ?

Tout dépend du projet, des conditions. Ma famille m’a tellement suivie que j’ai pas forcément envie que ça se renouvelle, je me sens redevable vis-à-vis de ça. Maintenant, j’ai besoin de travailler. Peu importe la voie, faut que le projet global soit intéressant, que tout s’accorde pour ma famille et moi. Je préfère gagner moins d’argent et être épanoui dans un climat stable que d’être ambitieux et risquer de me casser la tronche. L’argent n’a jamais été mon moteur, même si il compte, je l’ai regardé, c’est évident. J’avais une grosse proposition à Dubaï quand j’étais à Amiens, mais le côté « prison dorée » ne collait pas avec ma philosophie de vie. Jouer sous 40 degrés dans des stades vides… La reconversion, c’est toujours flou. Tu en as qui prennent bien ce virage, d’autres qui galèrent. J’ai assuré pour ne pas tomber dans la merde.

 

  • Interview réalisée par Mhedi Merini. 

Photo de Une : Getty Images.