Rocé était déjà là au milieu des 90’s avec La Mafia K’1 Fry et DJ Mehdi. A coup de textes poétiques et militants, il a su faire sa trace solo dans le rap, à l’ancienne, sans faire de vagues, sur de grosses scènes de festivals ou en squats, en défendant les opprimés, en restant authentique et en marquant l’histoire du hip-hop underground. On le retrouve ce samedi soir au Tanneries de Dijon. On a discuté avec la légende. Un échange prenant en plein dans l’actu.

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T’as sorti ton 7ème album cette année : Bitume. C’est un album combatif, engagé, voire fait dans l’urgence. Pour citer tes paroles : “l’heure n’est pas au constat mais aux portes de sorties”. On vit une véritable crise politique en ce moment, c’était quoi ta démarche avec cet album ?

Rocé : Disons que c’est pour redonner de l’espoir. Un peu fournir un album mode d’emploi. Dire, “faut y croire, continuer à se battre, à lutter ensemble”. L’idée c’est plutôt que de faire de simples constats, faire un pas de plus en avant en disant qu’on peut agir.

On change d’époque. À tes débuts, t’as été repéré par Manu Key, véritable pionnier du rap français et membre fondateur de la Mafia K’1 Fry. Comment s’est fait cette rencontre ?

Rocé : Disons qu’on habitait dans le même quartier et moi j’lui faisais écouter mes maquettes. On avançait sur des chemins parallèles. Manu avait p’t’être la vingtaine alors que je devais avoir 14 ans. C’était un peu un grand à l’époque et il savait que je faisais du son. Il aimait bien écouter mes maquettes. Et puis, quand eux (ndlr, la Mafya K’1 Fry) ont décidé de faire leur premier album, ils m’ont invité dessus. C’était en 96, je devais avoir 19 ans et c’était mon premier morceau sorti sur un disque.

En parlant de la Mafia K’1 Fry, on pouvait pas faire cette interview avec toi sans parler de Dj Mehdi et de son impact. Comment tu t’es retrouvé à collaborer avec lui ?

Rocé : Le premier morceau que j’ai sorti, donc avec Manu Key, c’était Mehdi à la prod parce qu’il produisait la Mafia. Puis il a décidé de lui aussi me prendre sous son aile. Donc j’étais signé dans son label Espionnage. Il y avait que trois signatures : moi, Karlito et Rohff.

Photo ©DR

Tu t’adaptes pas mal aux époques. T’es passé par du boom bap, des choses plus jazzy, des trucs plus rentre dedans. Comment tu restes toi-même tout en restant dans l’air du temps ?

Rocé : Il y a un truc qui se fait de manière naturelle, je me force pas. J’écoute vraiment tout ce qui s’fait et quand y a des trucs que j’aime bien, ils finissent par m’habiter ! Puis, on s’inspire de ce qu’on respire. Donc quand je vais écouter des styles musicaux différents alors que je fais du son, ça va ressortir. Je reste pas bloqué sur un style particulier ou une époque. J’suis pas dans la nostalgie et forcément ça se ressent dans ma musique.

Depuis 25 ans, tu traverses les époques avec un rap conscient, politisé, revendicatif. Ces aspects font partie de l’ADN du rap à la base. Donc quel regard tu portes sur le rap actuel, genre musical le plus écouté en France, qui peine à se politiser ?

Rocé : Maintenant tout le monde rap, avant il y avait vraiment une sociologie à ce qu’était un rappeur. C’étaient des gens qui venaient des quartiers populaires. Quand je voyais quelqu’un avec un baggy et une casquette sur la tête, forcément je reconnaissais un des miens. Et ça n’arrivait pas souvent dans une journée ! Aujourd’hui tout est rap, mais ça reflète plus notre société. Tu peux avoir des gens réactionnaires ou de droite qui rappent. C’est devenu complètement évasif en réalité. Après le truc c’est qu’aujourd’hui, même en termes de définition, c’est très dur de définir ce qui est du rap de ce qui n’en est pas. Ce qu’on pouvait définir comme du rap y a 30 ans, aujourd’hui c’est juste une case parmi tant d’autres dans ce qu’on appelle “la musique urbaine”. Mais j’aime bien ce qui se fait, j’écoute.

Aujourd’hui tout est rap, mais ça reflète plus notre société.

Parallèlement à ta carrière solo, t’organise beaucoup d’évènements autour des luttes anti-impérialistes, la décolonisation. T’as même sortie il y a quelques années, la compo Les damnés de la Terre, une référence à Frantz Fanon. C’est une manière de prolonger le travail de ton père  (Adolfo Kaminsky, militant/faussaire anticolonialiste et résistant, ndlr) ?

Rocé : Ouais, y’a de ça. J’me dis qu’il faut trouver des manières artistiques de prolonger tout ce savoir et cette transmission que j’ai. Puis c’est quelque chose qui m’anime. Moi j’ai découvert tout ça à travers les pochettes de disques ! C’est une manière ludique et pédagogique d’apprendre l’histoire et d’en défendre une vision. Celle d’une fraternité, celle des liens des peuples, des opprimés. De transformer en discours tous les murmures, des perdants, on va dire. Et l’idée, c’est de faire des expositions autour de ça. D’essayer de faire shiner un peu l’histoire des perdants, de la mettre au centre. Montrer qu’elle est plus intéressante qu’on croit et que c’est là aussi qu’il y a des modes d’emploi pour le monde de demain.

Propos recueillis par Léna Luis & Georges Millet // Photo : Laamine