Ses concerts sont des réunions “d’hypersensibles anonymes”, une forme de médecine alternative non remboursée par la sécu. Musiciens, choriste, l’artiste est aussi bien entouré sur scène qu’il l’a été pendant la création de l’album Hypersensible. On a discuté avec Gringe, l’ex-moitié d’Orelsan.

En partenariat avec Radio Dijon Campus

Tu peux nous parler du titre de ton album, Hypersensible, et de sa couverture ? Pour rappel, c’est ta tête coupée qui ressemble à une espèce de poupée. Elle est tenue par une main extérieure. Pourquoi ce choix ?

Gringe : (rires) Cet album porte un constat sur les maux de l’époque. On vit dans un monde très individualiste, très auto-centré qui nous coupe de nos émotions. Voilà pourquoi ce nom d’album et pourquoi je me représente avec cette tête totalement coupée. C’est comme une sonnette d’alarme que je tire pour dire aux gens “attention à pas vous désensibiliser, et vous faire désensibiliser”.  Et le visage de poupée de cire, c’est pour adoucir le côté décapitation. 

Cover : Lou Escobar / Dricetea / Fasmer

Après le livre que tu avais coécrit avec ton frère, tu avais annoncé que tu ferais plus jamais d’album. Six ans après, tu reviens. Pourquoi ?

Gringe : J’avais des amorces de texte avant de me lancer dans l’enregistrement de l’album, que je voulais garder pour un potentiel deuxième bouquin. Et j’ai rencontré Tigri, un p’tit beatmaker génial ! Il est aussi une espèce de directeur artistique. Il a su traduire mes idées et envies d’écriture en musique très vite. Et au bout du troisième morceaux enregistré pour le fun, on s’est rendu compte que tout était là. Les têtes pensantes pour faire le projet, puis moi l’envie retrouvée pour faire de la musique.

« Tigri a su traduire mes idées et envies d’écriture en musique très vite. »

Et du coup, c’est quoi le plus difficile ? Faire un album à deux, comme à l’époque de Casseurs Flowters, ou tout seul, avec tous ces choix à faire ?

Gringe : Au final, comme je suis rarement seul, ça m’ôte tout un tas de difficulté. La difficulté, elle est de se dire “ok, il va falloir que je prenne un an de ma vie à bosser tous les jours et être très discipliné”. Ça nécessite une vraie rigueur dans le travail. Et après, je suis facilité par des gens, comme Orelsan, à l’époque de Casseurs évidement. Puis plus récemment, Tigri. Il va me faire des propositions qui sont pas forcément celles auxquelles j’aurais pensé. Il va créer l’univers musical avec moi et en dessiner les contours intelligemment. Il va avoir un regard critique aussi sur le choix des thématiques. Et tout ça va faire quelque chose de cohérent avec une narration et un fil rouge. Sans ces gens-là, les projets seraient plus carencés quoi.

Et ça donne quoi tout ça sur scène ?

Gringe : On s’est pris la tête parce que l’album est relativement court. Sur disque, il fait une quarantaine de minutes. Mais sur scène, on a voulu le rendre très musical et étirer les morceaux. C’est pour ça que des musiciens et un choriste nous ont rejoints. On est six sur scène, un peu tout le temps. On a fait appel à un scénographe génial qui s’appelle Hugo Genetier. Il nous a créé tout un univers capitonné, ouatté, qui justement symbolise cette idée d’hypersensibilité et qui incite à la confidence. Y a un truc avec les gens dans le public, on fusionne, on fait qu’un.

Tu parles de travailler en équipe, pourtant, tes premiers albums étaient très marqué par des introspectives personnelles. On sent quand même une grande évolution. Qu’est-ce qui a changé dans ton processus d’écriture ?

Gringe : C’est le livre qui m’a fait entrevoir une autre manière d’écrire, qui m’a appris à synthétiser davantage ma pensée. Je me sentais bloqué par le format d’une chanson, je me disais que c’était pas suffisamment long pour pouvoir développer toute une réflexion. Mais le bouquin m’a offert un champ des possibles un peu illimité avec l’écriture. Je l’ai constaté dès que j’ai commencé à écrire les chansons d’Hypersensible. Puis c’est une question de maturité et d’expériences.

Tu t’attaques aussi à des sujets quand même plus politiques, plus lourds, comme dans Du Plomb. 

Gringe : C’est pas un album plus politique ou plus mature, c’est vraiment par bribe. J’me suis senti l’envie de me décentrer un peu de moi. Sur cet album, j’ai zoomé sur des sujets intimes, comme la santé mentale, la famille, la paternité, le rapport amoureux, le rapport au monde, en étant hypersensible. C’est des sujets qui m’étaient très perso. Et de temps en temps, j’avais besoin de dézoomer, prendre un peu de hauteur et me questionner sur le monde dans lequel je vis. C’est pour ça que je suis, par touches, politique. Y a quelques réflexions sur la politique que subissent les gens de ce pays, sur la manière dont on en vit les conséquences. Du Plomb, c’est très clairement une critique de cette société, cet État autoritaire, hyper arbitraire.

Texte : Octavine Brobbel-Dorsman // Photos : emotivegirl