De l’usage des produits pharmaceutiques dans le rap pré-apocalyptique. Il y a déjà fort longtemps que des mecs dans le sud des Etats-Unis ont adopté le slowsippin’ en gobelet plastique pour mener le hip-hop sur de nouveaux chemins tortueux et hypnotiques. Quelques mois avant la fin du monde, une floppée d’artistes codéinés continuent de terroriser le globe à grand coups de flows ralentis, d’instrus exosphériques quasi-emo et de clips vaporeux.

Prends garde jeune chantre du bon goût rappé ou gardien séculaire de la grande tradition du hip-hop conscient et protestataire, ici on va se tonifier l’esgourde en mode biatchs à gros boules, guns en or et sprite amélioré. Toi-même maintenant tu sais. Voici la vérité sur ce qu’il se passe de vraiment chaud chez nos voisins impérialistes en quelques oeuvres clippées de dudes qui n’ont sans doute pas entendu parler de Zulu Nation depuis fort longtemps. Prends ça, Eric Zemmour.

 

Nacho Picasso – Staring at the sun
“All the drugs I abuse and I’m still not amused.”

Le petit chopped & screwed de rigueur pour installer l’ambiance désabusée. Avec son blase rincé et son ego surdimensioné, le MC de Seattle commet depuis quelque temps ce genre de méfaits ralentis et psychés. Névrosé comme un chanteur de NSBM norvégien et accompagné de ses beatmeakers favoris (les non moins obscurs Blue Sky Black Death), Nacho te plonge dans un demi-sommeil apaisé mais anxiogène, sous des volutes toujours jaunes et violettes (le LSD des 70’s donnait plus de teintes il est vrai). Imagerie paranoïaque illuminatique, hommage appuyé à Raoul Duke, tout y est. Nacho te fera divaguer comme le serpent Kaâ. Izi Monet.

Tu l’écoutes : les jours de grippe, pour vraiment profiter de ta fièvre.
Le cadeau : Nacho Picasso & Blue Sky Black Death – Lord of the fly

 

A$AP Rocky – Wassup
“Back once again, sipping ‘eine, mixed with juice and gin.”

Encore un jeune qui a tout compris. Récompensé par une bourse d’études Warner d’1 million de dollars avant même d’avoir sorti le moindre LP, le petit de Brooklyn semble avoir pas mal megauploadé de sons cotoneux d’Houston-la-purple avant de se lancer dans le rap-jeu. Avec une valise de flows frein-à-main, reposants comme un Abdoulaye Meïté en L1, une imagerie clichée (mets de la poulette dans mon bucket) particulièrement léchée, le tout posé sur des instrus orfévrées par les cosmonautes les plus hauts du moment (Clams Casino, Spaceghost Purrp, entre autres), le dosage cloud-rap prend bien. A siroter sans modération.

Tu l’écoutes : à l’apéro avant de t’enchainer une soirée anarcho-epic-crust aux Tanneries avec 5 groupes de skinny-punks teutons pour évaluer tes limites physiques.
Le cadeau : A$AP Rocky – Live Love A$AP

 

Schoolboy Q – To the beat

Un des MC’s de sieste les plus excitants du moment. Initié relativement tôt à la vente illicite de produits phramaceutiques, le jeune Q profitera de son séjour en calèche pour gratter sa première bafouille. Grand bien lui en prit, puisqu’on le retrouve depuis quelques mois posant avec brio en compagnie de toute cette nouvelle génération de talents décélérés, toujours entouré de prodos mélancoliques et aériens. To the Beat n’est pas tiré de son excellent Habits & Contradictions sorti en janvier dernier, mais de son précédent effort Setbacks (tous deux dispos gratos contre 3 clics de souris appuyés). Ne t’inquiète pas si tu trouves l’image parfois un peu déformée, le produit commence à faire effet. Tu n’as déjà plus mal à la gorge.

Tu l’écoutes : en envoyant des sextos cyranesques à Karen Patouillet ou Laurent Grandguillaume, suivant ton obédience militante du moment. Go biquette.
Le cadeau : Schoolboy Q – Habits & Contradictions

 

Gucci Mane – North Pole
“50 pints of purple drank, came with the seal.”

Ice-cream tatoué sur la joue, Ice-cream argenté autour du cou, Gucci domine le rap-jeu putassier des trap houses depuis une petite décennie. Tout le monde le sait. Tous les gens qui pèsent à Dijon le savent. Même le mec qui court autour du terrain tous les week-ends à Gaston Gérard en costume de chouette n’écoute plus que Gucci. Motivation music. Le rappeur le plus prolifique de la planète, qui balance 4 tapes et 2 albums par an, est complètement baisé de la tête. Membre de Bricksquad, l’équipe la plus velue de l’empire,  Burrr a installé son trône à Atlanta et y chante son ascension capitaliste à qui veut l’entendre tel un crieur public monomaniaque. Sur ce track, Gucci t’emmène au pôle nord gouter une poud’ plus fine qu’à Avoriaz. Toujours avec classe et sobriété.

Tu l’écoutes : dans la L9 Divia qui t’emmène à 5h45 un matin de novembre sur la ZUP de Longvic où tu vas apprécier les joies de la chaîne jusqu’à l’heure du goûter.
Le cadeau : une des 372 mixtaptes gratuites du Gucc’, au choix.

 

Roach Gigz – Syrup Thighs
“I got them crazy eyes, she got them liquor lips, she got them syrup thighs.”

Nationalement et internationalement sous estimé comme tous ses compères de San Francisco, Roach Gigz propose pourtant un univers siroté atypique, avec son bagou toujours inspiré posé sur des mélopées plastiques qui fleurent les 80’s. Et comme un vibrant hommage au rap marseillais, il porte la moustache à la Akhenaton. Là s’arrête la comparaison, en particulier sur ce titre où le rookie pro-ana de la Bay se paye des vacances à Hononolu pour clipper un extrait particulièrement fruité d’une de ses dernières tapes. Flipper le dauphin est là, la jolie naïade aussi, Roachy Balboa te parle d’Amour vrai au lieu de taper les steacks dans la réserve, amuse toi bien. Et ne jette pas ton gobelet sous le cocotier.

Tu l’écoutes : pendant ton apéro-dinatoire de trentenaire, en coupant sauvagement ta pote qui envoie depuis 2 heures le megamix de Francky Vincent sans succès, pour faire décoller la soirée.
Le cadeau : Roach Gigz – Bitch I’m a player

 

Bonus : A$AP & Schoolboy Q – Hands on the wheel
“Life for me is just weed and brews.”

Chantonné par la charmante folkeuse (et donc probablement héroïnomane) Lissie (qui l’avait elle-même reprise du non moins sirupeux Kid Cudi), le refrain samplé t’ouvre immédiatement le crâne pour te replonger dans le souvenir du petit Sylvain qui t’a roulé ton premier palot en colo-équitation pendant que tu lui touillais langoureusement le nombril, à une époque où Footix gagnait la coupe du Monde. De la nostalgie brute en somme. Tu as déjà reconnu la présence de 2 merveilleuses gargouilles à l’image : Q et Rocky présentés plus haut, qui ont synchronisé leurs montres en or pour te pondre l’hymne emo-thug pré-apocalyptique de 2012.

Tu l’écoutes : en rentrant seule d’une Bateau Ivre où toutes tes copines t’ont lâché pour partir avec des intermittents du spectacle lourdement dévergondés au planteur.

 

– Jean-Pierre Porno 

(Article tiré du magazine inédit sorti pour les 2 ans de Sparse)