Cette semaine, session de rattrapage et un livre assez remarquable parce que c’est une réédition intégrale. Et vous le savez tous, j’aime bien les gros… livres.
On démarre avec le rattrapage 2011. C’est un bouquin à mi-chemin entre la bédé, le documentaire journalistique et le récit graphique. Ça s’appelle En cuisine avec Alain Passard par l’excellent Christophe Blain.
Dans ce récit, on suit pas à pas Blain himself dans les cuisines, les arrières boutiques et même dans les jardins d’Alain Passard, cuisinier émérite, chef trois étoiles depuis 1996, mais surtout spécialiste des légumes. Le gars, cuisine et prépare ses carottes comme d’autres mitonnent leur bœuf bourguignon. Le livre offre quelques recettes pas forcément simples à préparer, mais le plaisir ne réside pas franchement dans ce coté Maïté + +, même si c’est tout à fait alléchant. Non, on prend plaisir à être dans la cuisine, dans le labo, dans la sublimation des goûts et des odeurs… Oui, oui, les goûts et les odeurs via une bédé, c’est la force, le talent de Blain de nous faire saliver juste devant des dessins presque noirs et blancs, vifs, énergiques, drôles, crobards plus ou moins in situ, Le style évolue entre illustrations précises et énergie à la Tex Avery. Ça c’est pour le plaisir des pupilles, à défaut de papilles.
Le plaisir s’étend aussi à la découverte de la folie des goûts et des légumes de Passard. Comment un type qui voue sa vie et cultive sa folie créatrice comme son jardin, invente tout bonnement, ouvre des univers alors insoupçonnés. C’est vif, c’est nerveux, c’est sec, c’est très très bon. Un livre 3 étoiles.
Phil Perfect : coupe bien droite, épaulettes et
veste bleue à col sur pantalon blanc négligé
Deuxième choix de la semaine : l’intégrale de Phil Perfect par Serge Clerc. Un beau livre de presque 300 pages, avec des histoires bien sûr mais aussi tous les éléments historiques et biographiques sur le dessinateur Serge Clerc. Alors, moi, j’adore tous ces éléments en début d’ouvrage qui te placent le contexte, la jeunesse, l’adolescence et tout ça. D’autant que là, on découvre que Serge Clerc, petit ado passionné de bédé a réussi à se faire repérer par l’équipe de Métal hurlant, une revue de référence, dans les années 70, à l’âge de 16 piges ou quelque chose comme ça. Clerc quitte sa campagne et se jette dans les bras parisiens pour créer assez vite, le style des années 80 avec coupe bien droite et épaulettes, veste bleue à col sur pantalon blanc négligé entre cocktail et mambo.
Alors, Serge Clerc c’est la ligne claire justement poussée à un extrême, c’est net, droit , efficace mais sans être chirurgical. Son personnage Phil Perfect est une espèce de soudard des bars, ancien journaliste reconverti dans l’aventure, créé d’abord comme une figure, à travers des petits dessins, des vignettes empruntes d’une force suggestive, des créations autonomes comme des pochettes de disques ou des couvertures de polars imaginaires, avant de devenir un héros de bande dessinée.
J’ai pas encore tout lu, mais on retrouve des classiques comme La Nuit du Mocombo. Visuellement, c’est très chouette, encore aujourd’hui très efficace dans cet esprit néo-rétro 60’s propre au dandysme rock, aux garçons modernes de ces années 80. Par contre, Clerc est un styliste, Phil Perfect au niveau de la narration, ça coince parfois… Mais c’est beau alors on oublie. Rapidement, Clerc atterrira dans l’équipe de Rock & Folk, acoquiné de Philippe Manœuvre. Il illustrera moults papiers sur les scènes rock… Et c’est là que le bouquin bascule. Dans la présentation de début, les éléments biographiques, on nous présente Rock & Folk comme une machine à fabriquer de la rock critic française, the perfect school of cool writing. C’est quand même la grande escroquerie de ce livre, s’il y avait une rock critic digne de ce nom en France ça se saurait. Mais vous me direz que c’est pas là l’objet du livre. Un bon livre, pour vous remettre à niveau de ce qu’étaient les fantasmes des années 1980.
– Martial Ratel
Phil Perfect, l’intégrale, Serge Clerc – Dupuis, autour de 30 euros
En cuisine avec Alain Passard, Blain – Gallimard, 17 euros
La chronique bédé est un partenariat avec Radio Dijon Campus.