Une bédé de la rentrée qu’on attendait avec impatience et curiosité : Mongo est un troll, de Philippe Squarzoni. Déjà dans ce titre, il y a un terme qui cloche ou qui surprend. Troll. Troll ? Que vient faire cette bestiole qui vit dans un monde de nains, de dragons, d’elfes… chez  Squarzoni, le chantre, le spécialiste de la bédé réaliste, d’enquête, de la bédé journalisme voire de la bédé universitaire ?

mongoSquarzoni, c’était lui qui avait fait Saison Brune, une bédé sur la pollution. Dol, sur le règne honteux et crapuleux du capitalisme libéral ou des ouvrages sur les zapatistes, la prison et tout un tas de thèmes politiques et sociaux. Des bédés tout ce qu’il y a des plus réaliste, sérieux, contemporain, et toutes très réussies.

Souvent, c’est du noir et blanc. Ces dessins sont faits à partir de photos. C’est archi documenté (rencontre des profs de fac, des spécialistes, chercheurs, militants) et cela restitue très fidèlement ces entrevues. On est entre le tract dessiné et le travail de thèse. Et il ne faut pas oublier : Squarzoni, autant que j’ai pu le découvrir lors d’une interview,  n’est pas un type spécialement drôle. Pas sinistre non plus mais un peu comme quand il se met en scène dans ses bédés : un peu austère, tendance déprimé, avec le poids du monde, des inégalités sociales sur les épaules. Ça y est vous voyez, l’univers du Philippe.

Bref, là on change tout. Squarzoni s’est lancé à fond dans l’univers de la magie et des monstres. On croise des gobelins, des kobolds, des lutins et tous les guerriers ou magiciens que l’on peut imaginer. Il dit s’être inspiré des peintures de Bosh et Brueghel (l’ancien). On retrouve des traces, des citations de tableaux comme La Parabole des aveugles ou des paysages fantasmatiques de Bosh avec des tas de bestioles et petits démons. Et au niveau de l’histoire, c’est Burrough qui le dirige.

L’histoire. On suit l’errance de deux losers, brigands, petites frappes, qui vivent de coups gratuits dans la tavernes ou de petits larcins : pillages de tombes ou vols de trésors. Leur chemin les guide vers la mère de l’un des deux qui l’a abandonné dans sa jeunesse. Ils croisent une magicienne qui les accompagne dans cette quête. Elle tombe amoureux de l’un d’eux. Elle lui dit que ce qu’il écrit en cachette, c’est bien, c’est beau, c’est de la poésie. Alors il se met à les lire sur la place publique. Ce qui leur fait gagner un peu de sous. Je ne vous raconte pas la fin, mais l’essentiel tient là.

mongo2Graphiquement, Squarzoni se met à la couleur. C’est plutôt joli. Couleur numérique avec énormément de paysages de neige, l’histoire se passant dans une contrée froide. Et moi, dès qu’il y a de la neige, j’adhère. Visuellement, c’est assez simple de me convaincre quand il y a du blanc, des habits d’hiver et de la fumée qui sort de la bouche des gens. Clin d’œil encore aux tableaux de Bruegel. Tous les codes du genre sont là : les trésors, les rapines, la communauté, les villages, les sales monstres, la recherche, la magie…

Le talent graphique du Phil, c’est aussi de donner corps à sa façon à des monstres déjà bien connus et dessinés mille fois comme les gobelins. Visuellement, c’est très agréable et surprenant. Et il ne faudrait pas oublier que Squarzoni est un bon dialoguiste. C’est déjà un talent qu’on lui connaissait. Restituer de manière intéressante des rencontres sûrement longues avec des climatologues ou des économistes, il faut le faire. Finalement, c’est très étrange. Je peux dire que si l’écrasante majorité de la  population mondiale ne lit pas cette bédé, ce n’est pas grave (contrairement aux autres livres de Squarzoni) Et pourtant, je l’ai lu sans problème, sans me forcer. L’intrigue est assez maigre.

Pour une fois, il n’y a pas de dimension politique ou bassement sociale dans ce livre, en tout cas je ne crois pas. Je n’ai pas de tentative flagrante « d’accumulation primitive de la richesse ». Alors il y a pour moi deux explications : Squarzoni a perdu un pari, devait faire un bouquin de fantasy ou il avait tout simplement envie d’explorer cet univers pour sortir du bouquin type « à la Squarzoni ». Dans les deux cas, c’est réussi. Et il y a deux raisons pour lire ce livre. Ou bien vous aimez les aventuriers qui se tapent avec des serpents géants et qui ne sont pas des super héros qui butent tout, mais au contraire des losers qui parlent trop et perdent leurs mains dans des combats perdus d’avance. Ou alors vous pouvez lire Mongo est un troll parce que vous suivez l’évolution d’un auteur qui fait un crochet vers autre chose et que vous avez envie d’être surpris. Bon, vous pouvez aussi toujours le lire parce qu’il y a de la neige plein les pages.

– Martial Ratel

Mongo est un troll, Philippe Squarzoni – Delcourt coll. Mirage, autour de 15 euros