“Les gens veulent toujours te mettre dans une case, t’attribuer un style et personne n’aime ça. Et pourtant c’est ce qu’il se passe, les gens aiment savoir quel genre de musique tu fais.”

Mehmet Aslan, c’est le genre d’artiste qui te prend par la main et qui te plonge progressivement dans son univers, qui te fait découvrir sa culture. Il mélange les hymnes folk de son pays, la Turquie, avec des beats électroniques plus modernes, et ça donne un super mélange. Né en Suisse mais baignant depuis tout petit dans la culture turque, le jeune DJ a fait ses armes à Bâle avant de s’installer à Berlin. Le 11 décembre dernier, il a réchauffé toute la Péniche Cancale avec un set aux petits oignons, qui a fait chavirer tous les danseurs qui s’étaient déplacés (et ils étaient nombreux !). Invité par Bateau Ivre dans le cadre du festival Les Nuits d’Orient, nous avons rencontré le bonhomme quelques heures avant son set, autour d’un verre de vin.

Mehmet-Aslan

Tu savais que tu n’étais pas le seul Mehmet Aslan ? J’ai vu sur le net le site d’un autre DJ Mehmet Aslan qui fait de la merde commerciale. (Rires) C’est un nom très commun et il y a probablement beaucoup de gens qui font de la musique sous ce nom. En Suisse ou ailleurs, il y a aussi beaucoup de Djs qui jouent de la musique pop turque avec ce nom-là ou d’autres noms communs dans des clubs merdiques. Il y a aussi cet artiste en Turquie, une sorte d’acteur qui s’appelle aussi Mehmet Aslan et qui fait maintenant de la politique. Il a des idées très très très à droite et il poste souvent des photos avec son nom dessus. C’est vraiment un nom commun.

Ta musique est clairement influencée par tes origines turques. Quelles relations as-tu avec la Turquie ? Tu as de la famille là-bas ? Oui bien sûr et beaucoup de gens ne le savent pas, mais je viens d’Izmir. J’ai grandi en Suisse mais mes parents sont turques et j’ai grandi avec les films et la télévision turque. Mes cousins et ma tante habitent eux en Turquie. J’allais souvent en Turquie, mais le plus drôle c’est que j’ai mis les pieds à Istanbul pour la première fois il y a deux ans seulement. Aujourd’hui j’ai beaucoup d’amis là-bas et je pense bouger en Turquie, sûrement l’année prochaine, pour une petite période. Istanbul est une ville si particulière, avec une telle énergie, c’est vraiment intéressant ce qu’il se passe là-bas en ce moment.

Pas mal de gens utilisent l’expression “hamam house” pour qualifier ta musique. En gros c’est un mix entre des sonorités orientales et des rythmiques électro. Tu penses quoi de cette expression ? Ce sont des trucs pour les artistes. Les gens veulent toujours te mettre dans une case, t’attribuer un style et personne n’aime ça. Pourtant c’est ce qu’il se passe, les gens aiment savoir quel genre de musique tu fais. Pour moi c’est plutôt une expression fun, à cause du label du même nom, mais l’expression ne représente pas grand chose à mon sens, c’est juste marrant. En plus, je remets toujours en question mon style au fur et à mesure de mon travail, j’essaye d’aller toujours de l’avant, j’essaye d’être le plus éclectique possible et je m’intéresse à tous les styles de musique, je ne fais pas que de la « hamam house” .

Les sonorités orientales sont assez populaires dans la musique électronique en ce moment, surtout en France, comment tu l’expliquesIl y a comme une sorte de tendance mais je ne peux pas dire si cela va durer, je ne sais pas comment cela va évoluer, ce sont des sons très spéciaux. La seule chose que je peux dire c’est que l’intérêt pourrait perdurer car c’est très exotique pour les gens d’ici.

Mais c’est cool pour ce que toi tu fais, non ? Oui mais je pense que l’intérêt pour cette musique évolue aussi car il y a des gens qui font cette musique ou qui la mixent tout simplement. Ce n’est pas juste une musique qui était là avant et les gens se sont mis à s’y intéresser soudainement. Il y a vraiment beaucoup de gens qui participent à ce style de musique actuellement et c’est une bonne chose. Cela fait partie de la manière dont l’industrie de la musique évolue actuellement, avec cette volonté de mixer différents styles. C’est juste une partie d’un phénomène plus large.

Tu as sorti un superbe EP “Mechanical Turk” sur le label écossais Huntleys + Palmers l’année dernière, une « Boiler Room » à Istanbul récemment, c’est quoi la suite pour toi ? Quelques remixes, notamment pour Auntie Flo sur son nouvel album sur le label Huntleys + Palmers, et aussi un remix de la dernière track de Damian Lazarus sur son label Crosstown Rebels. Je suis aussi concentré sur mon propre label, Fleeting Wax, quelques edits vont sortir et je cherche à signer de nouveaux artistes. Et je travaille toujours pour sortir ma musique sur différents labels, mais pas seulement des trucs turques, il y aura aussi de l’expérimental, de la house, de la techno. J’ai tellement d’intérêts, je vais essayer de diversifier un maximum ce que je fais.

Une « Boiler Room », c’est un exercice particulier pour un DJ, c’est très important pour pas mal d’artistes d’avoir leur « Boiler » très propre, c’est comme une bonne pub. Quel regard tu portes sur le phénomène ? C’est une très bonne chose pour les artistes locaux ou pour faire découvrir aux gens des sons qu’ils n’avaient jamais entendu auparavant, cela a eu un gros impact pour pas mal de DJ même si aujourd’hui beaucoup de gens critiquent le concept devenu trop commercial. Personnellement je trouve qu’il y a toujours ce côté underground et c’est une bonne chose.

Tu as décidé de t’installer à Berlin comme beaucoup de producteurs de musique électronique. Qu’est-ce qu’elle a de si spéciale cette ville ? Je ne sais pas vraimentTout le monde est là-bas, beaucoup de choses s’y passent, c’est un peu la capitale de la musique électronique. Après, moi, je n’y ai pas bougé pour la musique au début mais pour un job de designer graphique. Je voulais aller dans une plus grosse ville que Bâle et l’occasion s’est présentée.

Mais l’atmosphère de cette ville est particulière non ? Pourquoi elle plus cool que Paris, Londres ou Amsterdam par exemple ? Je pense que c’est parce que le public et les artistes s’y sentent totalement libres, les fêtes peuvent durer deux à trois jours non stop, il n’y a pas d’autres villes comme ça dans le monde.

Tu travailles maintenant avec AKA qui est notamment partenaire du festival Les Nuits Sonores à Lyon. Tu seras sur le line-up de la prochaine édition ? Je ne sais pas encore. Peut-être sur des évènements secondaires mais probablement pas sur le principal. J’étais déjà dessus l’année dernière, je ne peux pas y jouer tous les ans ! La seule chose dont je suis certain c’est que j’y serai, c’est vraiment un festival super avec une très bonne organisation.

– Propos recueillis par Lucas Martin

Photo : DR