Le 18 novembre s’ouvrait à l’Opéra de Dijon la nouvelle saison de danse, sur le captivant Tristan und Isolde : Salue pour moi le monde ! interprété par le Ballet du Grand Théâtre de Genève, sur une chorégraphie de Joëlle Bouvier. L’occasion pour les Dijonnais d’accueillir le retour de la danse sur les planches de l’Auditorium.

Pour des raisons budgétaires, l’Opéra de Dijon avait dû faire des choix ces dernières années et sabrer dans sa programmation ; il n’y avait donc pas de danse au programme la saison passée. Pourquoi c’est le modeste volet danse qui avait sauté, quand plus de quarante concerts sont proposés chaque année ? Peut-être parce que l’institution possède avant tout une solide tradition de musique classique et de création de spectacles lyriques. Peut-être aussi parce que non loin d’ici, Chalon est une ville de danse affirmée à la programmation riche, grâce à son Conservatoire, à l’Espace des Arts, ou au festival Instances. Mais cette année, sept spectacles de danse refont leur apparition au programme de l’Opéra, alors profites-en, il en reste encore six !

De la poésie courtoise au souffle wagnérien selon Joëlle Bouvier

Si l’évocation de Tristan et Iseult te rappelle vaguement l’ennui de tes cours de Français de 5e sur le Moyen Age, il s’agit d’abord d’une légende médiévale celtique qui nous est parvenue sous forme de fragments provenant de différents auteurs, pour certains anonymes, de langue étrangère pour d’autres, certains en vers d’autres en prose… un sacré bordel littéraire prédigéré par de courageux traducteurs-mosaïstes avant de parvenir jusqu’à nous. Elle raconte l’amour impossible et le destin funeste de deux amants maudits qui ont ingurgité par erreur un philtre d’amour qui ne leur était pas destiné. Ils sont alors embrasés par une passion irrésistible et dévorante qui les conduira à leur perte.

La chorégraphe Joëlle Bouvier, figure majeure de la danse contemporaine française, avait déjà travaillé avec le Ballet du Grand Théâtre de Genève en 2011 sur le thème de Roméo et Juliette. La voilà donc qui s’attaque à cet autre couple de légende consumé par la passion, dont la danse s’était peu emparé jusqu’alors, et choisit de l’aborder à travers la lecture qu’en a fait Wagner. Dans un opéra en trois actes de 1865, ce dernier réécrit la légende et axe le drame sur un amour d’une telle intensité que la mort est une délivrance. L’œuvre n’était donc pas destinée à être dansée. Challenge pour la chorégraphe, qui conserve la structure en trois actes mais réduit cet opéra de 4h30 à un spectacle d’1h30 – ce qui est bien suffisant pour le néophyte que tu es – associant la partition musicale classique à la danse contemporaine, les voix de l’opéra aux corps et aux mouvements dansés.

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Une mise en scène sobre au profit du langage des corps

Dans l’imaginaire du 12e siècle, on se figure aisément Tristan dans l’armure d’un preux chevalier, ou plus primitivement en tueur de sanglier, navigateur audacieux et protecteur des dames, tandis qu’Iseult apparaîtrait dans la longue robe droite et chaste des timorées de l’époque. L’art chorégraphique contemporain brise ces codes vestimentaires au profit d’une grande sobriété des costumes et des décors, réduits au strict minimum et à quelques matières simples. Le tissu flottant, le bois brut, la corde créent un environnement épuré qui laisse toute sa place au langage des corps, dans une ambiance brun, vert, gris, nuit… à l’image de la tragédie qui se joue là.

Les 22 danseurs du ballet se meuvent sur scène par petits groupes, en duo ou en solo, et toujours les danseurs secondaires évoluent autour des deux amants pour leur offrir un écrin mouvant, les mettre en valeur ou traduire leurs passions. Dans la danse de Joëlle Bouvier, les gestes sont amples, faits d’enroulés, jetés, glissés, balayés. Les passages dansés alternent avec des temps marchés dans lesquels c’est le déplacement dans l’espace qui importe. Les corps disent tout, ils exaltent l’amour, expulsent la colère, transpirent le désespoir. Contrariés, ils se tordent, tressaillent, s’agitent, vont et reviennent, mais toujours en souplesse et en fluidité, tandis que l’inquiétante et puissante musique de Wagner les emporte dans un tourbillon inéluctable. Même s’il ne connaît pas grand chose à l’opéra ou à Wagner, le spectateur novice appréciera cette association de classique et de contemporain, histoire de ne pas entrer d’emblée dans la danse par une de ces compositions minimalistes sans notes à la John Cage ! Là, le lyrisme et la charge passionnelle de la partition du compositeur allemand colorent le dépouillement de la chorégraphie et du décor, et offrent quelque chose de presque familier à quoi se raccrocher. Le spectateur est happé !

Escales dansées, ici et ailleurs

photo_gregory_batardon_50a2677Ce premier spectacle dansé de la saison s’inscrit dans l’un des deux thèmes choisis par l’Opéra pour sa programmation annuelle : le conte, la fable, le rêve, le second étant le voyage en Amérique, dans la continuité des escales musicales des dernières années. À ce titre on te conseille tout particulièrement en janvier le spectacle Made in America, dans lequel le Ballet de l’Opéra de Lyon revisite les créations de deux des plus grands chorégraphes américains du 20e siècle, pionniers et figures de la danse contemporaine US, Merce Cunningham et Lucinda Childs. Minimalisme garanti ! Immanquable !

Et si l’Opéra te fait toujours peur, tu trouveras des spectacles de danse moins élitistes et sexagénaires que l’Auditorium, moins épiques et flamboyants que Wagner, moins tragiques que Tristan et Iseult dans les programmes du Festival des Nuits d’Orient en décembre, et du festival Art Danse en janvier notamment. La danse, c’est des propositions variées toute l’année, des voyages autour du monde à la rencontre des cultures, des tarifs abordables pour toi l’étudiant, l’occasion de contempler des corps qui, avouons-le, sont franchement pas dégueu, de s’initier à leur expression puissante et silencieuse – pour changer un peu des grandes gueules – et, si ça peut achever d’en convaincre certains, un public majoritairement féminin, et pas si âgé qu’on le pense !

– Maria Mood
Photos : GTG/Gregory Batardon