October Sober est une initiative lancée par un organisme anglo-saxon, la Macmillan association, pour vaincre le cancer. Les soberheroes, comme ils les appellent, s’engagent à ne pas boire durant octobre et à reverser une partie de l’argent économisé pendant ce mois de sobriété pour la lutte contre le cancer.

Tout commence bien évidemment avec une énorme gueule de bois, le genre de casquette qui pourrait se transformer en refrain d’une chanson de Svinkels ou de celle que se trimbale John McLane la moitié du temps dans Die Hard. Nous sommes le samedi 1er octobre, et j’ai vaguement entendu parler d’un « mouvement » appelé October Sober ; je m’engouffre dans la brèche, conforté par les dernières vapeurs d’alcool de la veille. Cet état physique précaire, et mon bide à bière naissant ne peuvent que me conforter dans ce choix. D’autant plus que les fins de week-ends se traduisent bien souvent par ce que j’appelle la « nuit de l’angoisse », sorte de soirée cauchemardesque du dimanche soir, où l’état fiévreux atteint son paroxysme dû au manque d’alcool. La résultante, ce sont des frayeurs nocturnes, la tremblotte et la fameuse sussu, comme Phil Collins l’expliquait dans son tube « Sussudio ». Demain, j’arrête, et demain c’est aujourd’hui.

Il y a de ces indigents qui célèbrent le mois d’octobre à à coup de chopes de bière allemande, harnachés au bar par la ceinture pour ne pas tomber d’ébriété. Je suis, pour ma part, de ces indigestes, qui ont bu le calice jusqu’à la lie lors d’un été bien trop chargé et qui entame la rentrée à ingurgiter huit Malox©/jour pour calmer un estomac adepte de la politique de la terre brûlée. Je commence le samedi 1er octobre 2016, j’ai bu quinze vedeTT la veille, je pèse 74,5kg et je suis bouffi.

Semaine 1 : la lutte de tout les instants

Samedi 1er octobre, quelques heures après mon vœu de chasteté, une des éminences grises de Sparse me demande de l’aider pour son déménagement. Après avoir porté quelques cartons, je pose la question qui fâche : « t’as pas un truc à boire ? » Ce dernier me désigne un pack de 16, ce mois va être long. Après cette première épreuve, je décide de rester dans le plus grand des KLM le premier samedi soir ; mieux vaut ne pas agir en kamikaze en fanfaronnant au bar et laisser ma motivation fragile se désagréger devant une pinte de gin tonic. La semaine suit son cours et bien évidemment je n’ai pas calculé que le mois d’octobre est culturellement très riche à Dijon ; entre le Tribu Festival, les dizaines de concerts que je vais voir et les événements auxquels je vais participer, je risque d’être sollicité à tous les instants. Pourtant, ce n’est pas la première fois que j’arrête de boire, précédemment cela avait duré un peu plus de quatre mois. Les circonstances étaient un peu différentes, car cet arrêt était intervenu comme une évidence, voire une nécessité (en gros j’avais grave la poisse). Cette fois-ci, c’est plus difficile.

Dans ce genre d’épreuve que l’on s’impose, il faut savoir être méthodique. Tout au long de l’article vous trouverez quelques conseils à la volée, sorte de petit manuel de survie en milieu alcoolique.

Conseil n°1 : TOUJOURS amener une boisson avec soi. On ne peut pas confronter le copain relou si on n’a pas sa boisson totem. Pour ma part je tourne à la petite bouteille de San Pellegrino, classe et maniable. Cela évite que le copain relou t’attaque d’entrée de jeu avec une bière, certes chaude, mais qui te fait cruellement envie.

Conseil n°2 : identifier le COPAIN RELOU, et le moucher le plus rapidement possible, histoire de montrer aux autres que vous ne déconnez pas avec cette décision. C’est un peu comme à la rentrée de sixième ou quand tu rentres en prison, si tu t’imposes pas, tu es bon pour tenir la poche d’un gars les six prochains mois.

Mon copain relou, je l’ai identifié assez rapidement car son insistance n’a cessé de croître au moment où il a su que j’avais arrêté de boire, classique. Finalement il n’aura pas eu raison de moi, et s’en est collé une superbe tout seul. Le lendemain, vaseux et honteux, il m’avouera qu’il ferait comme moi dès le lundi d’après (début de weekend oblige), je l’attends toujours. La première semaine c’est évidemment la plus dure, je regarde mes copains boire des bières, je me venge sur l’eau mais comme je ne suis pas habitué, j’en écoule quinze verres par soir. Je ne vous parle pas des A/R aux toilettes, vous me direz c’est bon pour vaincre une cystite alors ça ne peut pas me faire de mal…

Semaine 2 : babtou fragile

J’entame ma deuxième semaine plein d’espoir. Je commence à respirer mieux, le goût des aliments a changé. Ah non merde, je n’ai pas arrêté de fumer ! Au niveau de la tise, l’envie de couler des bières avec mes potes se fait moins sentir et ces derniers commencent à me lâcher la grappe avec ma sobriété (la première semaine est toujours un calvaire à ce niveau-là, vous verrez si vous le faites !). Mon état physique s’améliore grandement toutefois, mon estomac et mon foie me remercient (ma consommation de Malox est passé de mille à zéro). Je prends conscience de l’alcoolisme mondain et du fait que l’on boit tous énormément sans s’en rendre compte, ce constat est digne d’une étudiante d’Info-com qui s’étonne de prendre du cul malgré son régime drastique alors qu’elle s’envoie quinze vodka-Redbull en soirée. À l’apéro, on me propose des subterfuges pour contrecarrer ma sempiternelle San Pé, je goûte donc la ginger beer, une bière sans alcool. Autant se le dire tout de suite, on est plus proche du Schweppes Agrumes que de la 33 Export. Tant pis pour le subterfuge, on fera sans. D’ailleurs, ça me fait penser au conseil numéro 3 pour ceux qui n’assument pas leur arrêt.

Conseil n°3 : zoner avec un Perrier tranche en soirée, les gens penseront allègrement que vous buvez du gin tonic (tu peux pousser le vice en mettant du concombre dans ton Perrier !).

Milieu de semaine, Sparse me convie à sa réunion de rédaction pour parler des sujets que vous trouverez dans ce mag. Bien évidemment ces fumiers-là ont eu la bonne idée de nous convier dans un bar du centre-ville. Tu sais, ce côté business mais décontract, un peu comme le short de costard. Je me ruine en eau gazeuse, plus chère que la bière en passant, je mate mes collègues rigoler, verres de vin et pintes à la main et je me dis : « ça y est, je suis dans le dur ». Je ne bois plus depuis dix jours. Ma copine me rejoint après la réunion. Au bout du deuxième verre commandé, elle est ambiance pour rester, moi pas trop. Quand elle me rejoint à la maison, elle m’avoue que j’étais plus drôle quand je buvais. Je ne peux pas vraiment la contredire sur ce point…

Bon, bien sûr, il n’y a pas que les mauvais côtés à retenir ; cette semaine, j’ai dépensé moins de dix balles au bar, et dimanche matin, je me retrouve à faire un run de 10 km à 10h du mat, du jamais vu. Je retrouve mon teint frais, j’ai perdu 2 kg. En arrêtant de boire, je me suis inscrit sur le fameux site October Sober, histoire de pousser le truc à l’extrême. Cette initiative, lancée par les Anglo-Saxons, permet de supporter la lutte contre un cancer (je ne sais plus lequel par contre), en reversant tout l’argent que l’on aurait dépensé en boissons alcoolisés du mois. Il est bien sûr hors de question que je refile un kopek à ladite cause, mais c’est agréable d’être considéré et de faire partie d’une communauté. À quand le Tinder pour alcoolos ? Ou les covoit’ avec Blablatise ?

Semaine 3 : mental de Vietcong

J’ai de moins en moins de mal à sortir, et à affronter les apéros. La preuve : un ami donneur de leçon me dit que s’arrêter de boire complètement, ça ne sert à rien. Apparemment c’est encore plus mauvais pour la santé, il a l’assurance d’un bar-tabac, tout en sirotant une énorme cannette. Il me parle bien sûr de modération, et je ne sourcille même plus. Le problème, c’est que la modération, ça ne marche pas avec moi, je ne sais pas commander un verre d’eau entre mes pintes, et quand on me donne le choix entre une lager et une bière belge de la mort à 15°, mon cœur penchera toujours vers le plat pays. Et puis merde, je suis un gars extrême, comme ce court-métrage coréen (Three… Extremes, ndlr), où la meuf mange des fœtus qui ne sont pas arrivés à maturation pour rajeunir. C’est ça l’esprit Coubertin, soit tu t’en mets une superbe, soit tu restes out of the game !

Du coup, on est vendredi et comme je m’en sors pas trop mal, je m’impose une petite difficulté supplémentaire, je serai de sorti ce soir. Je règle le niveau sur extrême en choisissant les Tanneries. Au programme, trois concerts de punk sinon rien. Je passe à la Péniche avant, le serveur, que je connais bien, me demande le plus naturellement du monde si je suis malade quand je commande un Perrier, Normal. J’arrive exprès aux Tanneries avec une heure et demi dans la vue. Bien évidemment, eux, ils en ont deux de retard, le premier groupe vient de commencer et c’est pas bien. Je vais devoir poireauter encore bien trois heures pour voir le groupe qui m’intéresse, Complikation ; nom providentielle. La soirée est plutôt calme, et à part quelques punks bien attaqués au père la casquette, pas de vagues. Ils ont retiré le JuraCola au menu du bar, pour servir des Coca-Cola, petite boite indépendante d’Atlanta, dommage… La soirée se passe plutôt bien et je discute avec quelques gugusses pas trop déboit’.

Conseil n°4: identifier le mec le moins déboit’ de la soirée et s’en faire son wingman, ça évite de se faire trop chier et permet d’éviter les attaques des mecs marraves (cf. conseil n°2).

Je rentre tout de même avant la fin du concert que je suis venu voir. Il est 1h30, le son tabasse et mon niveau de glycémie après trois Coca frise le Mont Fuji. Résultat des courses après trois semaines d’abstinence, j’ai un mental de Vietcong de 9h à 17h50. Après j’ai envie de boire l’apéro, rien n’a changé.

bouteilles

Semaine 4 : canettes will always remain canettes

La rémission est complète, je vis l’arrêt de l’alcool comme un sage, un immortel, je pense que je suis en droit d’exiger un costume de l’Académie française. Je pourrais de ce fait sabrer mes bouteilles de Perrier avec mes srabs au bar. L’alcool, c’est de la merde, mon Dieu comment ai-je fait pour être aussi longtemps aveug’ ? Le mardi, je me paye même le luxe de monter sur scène avec mon groupe sans consommer une goutte d’alcool (rare dans la profession, à part contre-indication médicale). Bien sûr ça se corse en fin de soirée quand il faut charger le matériel, mais l’expérience est plutôt agréable ! Nous sommes le 27 octobre, je ne crains plus rien et je décide donc de me rendre à Vendôme pour le festival des Rockomotives. Gonflé à bloc, je me prépare à passer des festivités sobres, deux mots qui ne sont d’ailleurs plus antinomiques. Cependant, à l’arrivée sur site, ma vision se trouble et tous mes sens sont en éveil ; un camping municipal quasi-désert, une ville morte, et des concerts intéressants qui commencent malheureusement trop tard. L’ennui s’abat sur moi, et les habitudes reviennent au galop. J’identifie l’itinéraire le plus proche pour arriver au Monoprix, je reconnais le chemin du rayon des canettes, les 16 sont à ma portée, c’est la chute, le cataclysme. Je replonge tout seul dans l’engrenage, nous sommes le 27 octobre, je BREAK. Ce mois d’octobre se transforme en un mois de février d’une année bissextile…

Conseil n°5 : éviter les événements trop importants, vous êtes bons mais vous n’êtes pas un surhomme ! (Contrairement à ce qu’indiquait le site d’October Sober) Proscrire festivals, open bar, Bar-mitsva, descentes de caves…

Franck Le Tank revient au galop, « c’est trop bon le goût quand la bière t’arrive dans la bouche » (Extrait du film Old School, ndlr). Premier soir de retour à l’alcool, les six premiers demis passent comme du petit lait. Je me sens bien, je fais tout de même une pause soupe, avant d’oublier que je n’ai pas mangé. Je finis bien caisse, mais pas hardcore, good vibrations. Je me sens tout de même un peu coupable par ce retour à l’alcool anticipé, cependant je me sens bien plus à l’aise sur la soirée. Je ne dis pas qu’il est impossible de s’amuser sans cela, mais les interactions avec les autres sont bien plus fun et je ne vous apprends rien en disant que l’alcool déride les gens et délie les langues, moi le premier.

Le lendemain, restaurant, copains, concerts, et bien sûr rebelotte. Foutu pour foutu, je reviens à mes premiers amours : bières et gin tonic. Un ami belge à la bonne idée, de proposer de se couler quelques fraîches dans le parc en attendant l’heure de l’apéro, il est 15h. On est toujours à la bière à 18h et on passe au gin-to à 20h. À une heure du mat’, je ne sais plus comment je m’appelle, j’arrive tant bien que mal à finir les concerts, mais je ne pourrais pas vous parler d’Odezenne plus de vingt secondes si l’occasion se présentait. Le retour au camping est un combat de tous les instants, et je ne vous fais pas de dessin sur la méthodologie pour retrouver le bungalow… Bien évidemment, je me lève le lendemain avec une énorme barre dans le crâne. Nous sommes le 29 et la vie est un éternel recommencement. Je vois même le spectre de la nuit de l’angoisse se profiler au loin, I’m definitely back in the game. J’aurais pu intituler cet article : Ivre, il fait le voeu de rester sobre tout le mois d’octobre et fini en coma éthylique le 1er novembre mais je n’aurais finalement pas eu le mental pour finir ce mois de sobriété. J’ai eu, comme on dit, plus gros œil que gros ventre.

Il faut l’avouer, cette trêve hivernale m’a tout de même fait le plus grand bien, d’un côté physique bien évidemment mais également sur un point de vue financier. Si vous êtes comme moi, et non pas comme mon ami buraliste adepte de la modération, ce genre d’initiative, qui peut paraître extrême pour le profane, est une bonne solution pour s’assainir. Attention tout de même à ne pas se brûler les ailes dès la reprise. Je finis d’écrire ces lignes début novembre, une bière à la main. Vous êtes priés de me laisser tranquille avec Movember et leur moustache ridicule, l’arrêt de la clope et autres engagements mensuels. Bien à vous.

– Franck Le Tank
Illustrations : Michaël Sallit, Hélène Virey