Léa Ostermann, comédienne de la compagnie 24 Carats implantée dans le Jura, passe des coups de fil aux seniors et aux personnes isolées pour leur faire passer un bon moment. Une initiative salutaire, encore plus durant la période actuelle…
Puisqu’on parle d’appels téléphoniques, affranchissons-nous tout de suite: Léa n’est pas une commerciale qui te harcèle pour te vendre un truc dont t’as pas du tout besoin. Rien à voir. Ici, l’enjeu est artistique et social. Reprenons depuis le début. La comédienne Léa Ostermann est membre de la compagnie 24 Carats. Depuis 2015, cette dernière est implantée dans le Jura et créé des spectacles burlesques, comiques et clownesques. Mais fait aussi des interventions et des actions culturelles auprès de différents publics : en maison d’arrêt, avec des seniors, dans les quartiers…
Une démarche artistique
Pour ses différents spectacles, la compagnie 24 Carats a choisi de s’articuler autour de personnages burlesques, c’est du comique exagéré. Léa incarne notamment le personnage de Rosa Mercedes, une aristocrate déchue, un peu paumée et qui veut s’insérer dans la vie de Monsieur et Madame Toutlemonde pour apprendre à vivre normalement. À ses côtés, Marco Pelo, le domestique, joue de la musique et de la guitare. Marco Pelo ? Rien à voir avec Lyon, on vous voit les gars du 6-9.
Avant, dans un monde lointain, on pouvait croiser Rosa Mercedes et Marco Pelo un peu partout. « Avec ces personnages, on a joué plutôt dans des lieux classiques. En festival, au théâtre, dans la rue… C’était toujours des spectacles de proximité, en interaction directe. Mais par la suite, je me suis dit que je pourrais aller sur quelque chose de plus social, dans des lieux où il n’ y a pas forcément de spectacle », éclaire la comédienne.
« J’ouvre des portes pour permettre à la personne d’aller là où elle a envie d’aller. On peut rigoler, danser, se lâcher… »
La compagnie a ensuite imaginé des «promenades solidaires». Des déambulations à domicile, avec les personnages de Rosa ou Marco, auprès de personnes isolées, âgées. Pour les faire sourire, rire, échanger, discuter, voire pour danser… Tout simplement. « Le but de ces promenades, c’est d’aller vers des gens un peu oubliés… L’idée, c’est de coller à ce qui se passe et être vraiment en interaction avec la personne, créer du lien », détaille celle qui joue Rosa. La personne chez qui débarque notre comédienne participe donc pleinement à la rencontre. « Rosa vient découvrir la vie ordinaire de ces gens chez eux. Elle découvre l’appartement, découvre comment on fait la cuisine… Elle ne vient pas là pour que la personne se pose dans le canapé et regarde un spectacle », souligne Léa.
« Pour entrer en lien avec la personne, je me connecte vraiment à l’endroit. J’essaie de ressentir vraiment ses besoins »
Au premier abord, on pourrait croire que Rosa fait le même sketch avec toutes les personnes, mais non. Comme c’est un échange, chaque personne reçoit et perçoit les émotions d’une manière différente. La discussion n’est jamais la même. « C’est souvent des discussions intimes. Comme Rosa est décalée, naïve et ouverte à ce qu’il se passe, les gens se sentent très en confiance et se lâchent. On parle d’autre chose que du quotidien et parfois on peut partir loin. Elles peuvent parler de leur accouchement, de la sexualité, des trucs vraiment intimes », détaille Léa. Après les visites, le beau geste, c’est que la compagnie continue de garder contact avec les personnes. « Il y a une correspondance écrite. Rosa écrit à chaque personne et souvent il y a des réponses, donc on communique par la suite par lettre ».
Mais ce n’est pas tout. « L’objectif était de faire sortir les gens de chez eux. Je vais inviter toutes les personnes que j’ai vu à un banquet de Rosa. On avait déjà fait le Bal de Rosa, et en ce moment on réfléchit au salon de thé de Rosa ». Mais ça se fera quand la situation le permettra bien sûr.
Avec le confinement, couvre-feux, le projet se réajuste
Comme ce n’est plus trop possible d’aller à domicile, il fallait bien trouver une alternative aux déambulations. Après un vrai job d’écriture, notre artiste est partie sur un dispositif sonore interactif. Au final, ça s’est transformé en discussion téléphonique. Léa présente la chose: « Je fais un questionnaire un peu décalé au départ. Ensuite je leur raconte une histoire que j’étaye au fur et à mesure. Je leur demande de faire des choses : se lever, fermer les yeux, dire des choses, je fais écouter de la musique… »
Forte de son expérience, la comédienne arrive à se « connecter avec la personne » et donc à transmettre des émotions. « Je ne lis pas juste un poème. Il y a pas mal de choses comme ça qui sont faites, mais ce n’est pas le cas ici. L’idée c’est vraiment être dans le moment présent, sentir l’autre… ». Elle a notamment pu appeler plusieurs personnes isolées lors des fêtes de fin d’année, afin de redonner un peu de baume au cœur et montrer que ces personnes ne sont pas laissées à l’abandon.
Normalement, tout devrait revenir à la normale à la fin de cette foutue période. En attendant, pour la suite, la compagnie 24 Carats aimerait continuer de développer ses échanges avec les plus jeunes, et essayer de porter ce projet hors des frontières de la région. Cœur avec les doigts.
- Julian Marras // Photos : compagnie 24 Carats