Crime en col blanc à Dijon pour l’une des affaires les plus rocambolesques des milieux financiers français. Un précédent qui fera date et qui met en scène des personnages de fiction, avec en tête d’affiche Vincent Ropiot, golden boy de Beaune, fondateur du fonds d’investissement RR Crypto désormais en liquidation judiciaire, aujourd’hui sous le coup de multiples chefs d’accusation et menacé de mort par ses anciens investisseurs après la perte de plus de 40 millions d’euros de fonds placés sur le marché des crypto-actifs. Un scénario de polar pour une escroquerie stupéfiante conduite par des amateurs irresponsables et marquée par l’omerta du milieu des affaires et la faillite de milliers de victimes.

Salut, jeune entrepreneur

Il était une fois Vincent, jeune Beaunois d’une vingtaine d’années à l’ambition dévorante. Dans la vie, Vincent veut mailler. Il découvre la crypto-monnaie en 2013, comme il le confie en février à Dijon l’Hebdo, et commence à investir dans les actifs numériques avec ses économies en 2016 ; d’après le Figaro, il passe à l’aise de 3 000€ à 300 000€ en l’espace de quelques mois grâce à ses investissements judicieux sur le marché et l’effet “bull run” de l’époque, une période de forte croissance. Une réussite fulgurante qui impressionne dans le milieu des affaires dijonnais et Vincent se retrouve à la tête de son propre fonds d’investissement début février 2019 : RR Crypto. Tous les matins, il gare sa Ferrari devant les immenses locaux de sa boîte à Longvic, orientée start-up nation avec salle de sport et babyfoot. L’ambiance est au beau fixe, le bouche-à-oreille fonctionne à fond et les investisseurs affluent, amadoués par la vingtaine de conseillers tellement engagés dans le projet que la plupart « y ont placé leurs propres économies », nous confie l’un d’eux qui, comme la plupart des intéressés dans ce dossier, préfère rester anonyme. Des investisseurs qui pèsent, pour certains plusieurs millions d’euros, tels des hommes d’affaires de la région ou des personnalités du sport, qui font tourner à leur carnet d’adresses. Dans son entretien à Dijon l’Hebdo en février, Vincent annonce fièrement 1 500 investisseurs ralliés à la cause.

Pourtant, depuis le lancement de la société, une sonnerie d’alarme résonnait à l’oreille de certains initiés ; Emmanuel* (le prénom a été modifié), un homme d’affaires dijonnais qui a rencontré le jeune PDG et plusieurs collaborateurs, présentés comme des fondateurs et intervenants, au début de l’aventure RR Crypto se souvient de l’aplomb de ses interlocuteurs malgré le caractère opaque de leur projet : “c’est un univers nouveau et nébuleux et ils n’avaient pas d’habilitation auprès de l’AMF.” L’AMF, c’est l’Autorité des marchés financiers en France, qui décerne le statut de Prestataire de service sur actif numérique (PSAN) pour les entreprises qui gèrent des fonds d’investissement en crypto-monnaies. Un agrément que ne possède pas RR Crypto, montée en association loi 1901, une aberration phénoménale puisque ce type de structure ne peut générer des bénéfices majeurs sans être en infraction avec la loi française. Claire*, qui évolue professionnellement dans cet univers financier complexe, se souvient : « Dès le début on pouvait deviner ce qui allait arriver. Ce qui est fou, c’est que Vincent Ropiot ait pu continuer aussi longtemps avant que ça ne pète « . Les vrais fonds d’investissement sont habilités par des organismes officiels afin d’éviter les escroqueries et ils sont évidemment plus armés face aux menaces telles que le piratage d’un compte ou le craquage mental d’un trader. Au cours du même entretien de février, Vincent se défend du statut de sa société et explique préparer un dépôt de dossier auprès de l’AMF. Tu mens, Vincent. Le gendarme financier s’est par la suite dédouané, précisant qu’aucun dossier n’a été déposé par RR Crypto. Cet argument d’une procédure en cours, ses conseillers s’en servaient pourtant lors des entretiens avec les clients.

« Dès le début on pouvait deviner ce qui allait arriver. Ce qui est fou, c’est que Vincent Ropiot ait pu continuer aussi longtemps avant que ça ne pète. »

Kryptonite

Avec le bouche-à-oreille croissant et les multiples confinements, les conseillers de RR Crypto proposent des rendez-vous collectifs par visioconférence. Nous avions participé à l’un d’entre eux en avril dernier, alors que Vincent Ropiot savait déjà que le compte de la société pointait à zéro euro. Comme dans tout bon système de Ponzi, les injections de fonds tout frais venant de nouveaux investisseurs auraient permis de financer les soi-disant bénéfices de l’association après la disparition du capital de la boîte.

Lors de ces fameux rendez-vous, le conseiller ancien coach sportif, un profil exotique, démarre par l’introduction d’usage sur la genèse récente de la société et ses valeurs : savoir-faire, écoute, bienveillance. Le sujet tant attendu vient ensuite : la moula. Faisant miroiter ses bénéfices colossaux en moins d’un an, étalant son relevé de compte bancaire perso truffé de chiffres, le conseiller sait faire briller les yeux des potentiels clients, tout en mettant en garde de temps en temps sur le caractère spéculatif de l’affaire mais rassurant sur la politique de la boîte qui investit uniquement sur des crypto-monnaies stables, entre deux étalages de chiffres qui donnent le tournis. Yoan, qui participait à la séance, est convaincu : “pour moi, des pros allaient gérer mon fric.” Les 18% de commission pour les traders sur ses futurs bénéfices lui paraissent dérisoires. Ce qui l’a sauvé des griffes de RR Crypto, c’est le conseiller qui avait perdu son dossier. Savoir-faire à fond. 

 “Je connais quelqu’un qui a vendu sa voiture pour investir” raconte Mehdi*, lésé de 2 000 €. Ce type de réunion aurait donc permis de faire grimper le chiffre de 1 500 investisseurs avancé par Vincent Ropiot en février à 4 500 au moment de la chute de RR Crypto, le 20 juin.

Cet appel du 20 juin, les clients s’en souviendront longtemps. Ce jour-là, Vincent apprend à tous ses investisseurs par le biais d’un e-mail que “le portefeuille de cryptoactifs ouvert sur la plateforme Binance, sur lequel l’ensemble des fonds confiés en gestion par nos clients sont conservés, a été réinitialisé.” Autrement dit, le pognon de tout le monde s’est volatilisé. “Je recevais des notifications toutes les deux secondes dans les conversations entre clients et conseillers sur Telegram, les gens devenaient fous” raconte Mehdi. Vincent explique avoir déposé une plainte auprès de la gendarmerie le 17 juin et s’identifie comme “le seul et unique responsable de cette situation” . “Les conseillers n’étaient pas au courant, ils se justifiaient comme ils pouvaient auprès des clients. Ils ont perdu leur épargne mais aussi leur taff” continue Mehdi.

« Cet appel du 20 juin, les clients s’en souviendront longtemps, le pognon de tout le monde s’est volatilisé »

C’est là que débute la tempête pour le P-DG de RR Crypto avec ce premier cas français d’arnaque sur des investissements en crypto-monnaie ; les journaux locaux et les médias nationaux se paraphrasent les uns les autres, les cabinets d’avocats se jettent sur l’occasion et le Parquet de Paris s’empare de l’enquête. On n’avait pas connu un tel emballement médiatique dans la région depuis le mec qui fracasse un Apple Store à la boule de pétanque ou la réunion des Tchétchènes de France aux Grésilles. On apprend ainsi de plus en plus de détails sordides, comme le statut d’association loi 1901 de la société, le déni de l’AMF et surtout la disparition des fonds dès mars, soit trois mois avant l’email de Vincent. “On recevait des faux relevés de compte tous les mois pendant cette période, avec le solde du 1er au 1er du mois suivant, le total en USDT, une crypto-monnaie stable, et sa valeur en euros” explique Mehdi. Tu mens encore, Vincent.

En bande organisée

“J’ai investi en fin d’année dernière après qu’un ami qui venait d’investir m’en ait parlé. Comme j’avais envie de débuter dans la crypto-monnaie, je leur ai donné un pourcentage de mon capital que je souhaitais répartir.” Olivier Champion a perdu 7 000 € et il est surtout l’un des rares à s’exprimer publiquement sur l’affaire du côté des bourses détroussées : “Je n’étais pas choqué car c’était un risque à prévoir et j’y avais déjà pensé” explique lucidement celui qui est aussi coach mental dans la vrai vie. Si certains avaient envisagé une perte, la plupart ne s’y attendaient pas : “le risque identifié, ce sont les gens qui font des crédits pour investir” explique Claire. Outre ceux qui ont perdu toute leur épargne, d’autres n’ont vraiment pas apprécié ce dénouement, en particulier les investisseurs impliqués dans des activités illégales et profitant de l’association pour du blanchiment d’argent. Si un établissement bancaire nous confirme que “tout dépôt en espèces doit pouvoir être justifié” quelle que soit la somme, dans le but évidemment d’empêcher le blanchiment d’argent au guichet, les possibilités offertes par la cryptomonnaie, relativement anonyme, attirent désormais ce type d’investisseurs, surtout au sein d’une structure comme RR Crypto qui ne vérifie pas la provenance des fonds, selon plusieurs clients rencontrés. Claire, notre experte en actifs numériques, nous explique qu’il existe différentes méthodes pour acheter des cryptodevises en espèces : “t’as des adresses pour ça ; tu peux faire un mandat cash avec Western Union vers un compte offshore pour ensuite acheter des cryptomonnaies depuis ce compte, il existe aussi quelques distributeurs de bitcoins en France, des cartes prépayées.”

Pour l’heure, les charges retenues par les enquêteurs sont “vol en bande organisée, atteintes à un système de traitement automatisé de données et blanchiment en bande organisée”  et de nombreuses victimes ont déposé plainte pour “faux, usage de faux, escroquerie, abus de confiance, exercice illégal d’une activité de prestataire sur actifs numériques, démarchage financier et direction d’un organisme de placement collectif sans agrément”. Plusieurs cabinets d’avocats, parisiens et dijonnais, se sont rués sur l’affaire, médiatique, et ont monté des groupes de victimes, qu’on peut intégrer moyennant minimum 600€, plus honoraires…

Premier de cordée

Ce que l’enquête pénale du Parquet de Paris devrait permettre de comprendre, c’est surtout comment cette faillite spectaculaire est survenue car plusieurs pistes sont à l’étude. La première, c’est celle avancée par Vincent : le compte de l’entreprise réinitialisé par Binance. La plate-forme s’en est défendue, se réservant même la possibilité de poursuivre le PDG pour diffamation, et a révélé au passage que RR Crypto ne possédait aucun compte d’entreprise . “C’est techniquement impossible que Binance ait fait disparaitre les fonds, c’est un broker qui met simplement en contact acheteurs et vendeurs”, explique Claire. On découvre ainsi le fonctionnement de la société pour investir le pactole de ses clients : selon elle, RR Crypto ouvrait d’abord un compte sur la plate-forme au nom de ses investisseurs grâce aux pièces fournies à l’inscription comme les justificatifs d’identité, puis transférait ensuite ces nouveaux fonds sur le compte personnel de Vincent. L’angoisse. L’autre piste, c’est celle qui découle de l’association entre le Beaunois et un avocat estonien obscur, Karmo Neider. En Estonie, la création d’une SA est quasiment à la portée d’un gamin de dix ans, et Vincent se lie avec Karmo, expert dans la création d’entreprises spécialisées en crypto-monnaies dans le pays. Des entreprises pour la plupart épinglées par le régulateur financier anglais. L’Estonien se retrouve ainsi au board de la boîte enregistrée chez lui. Vincent a ensuite avoué avoir « fait confiance à la mauvaise personne », alors qu’une vingtaine de millions d’euros en provenance de l’association de Longvic ont été retrouvés en Estonie, bloqués. La dernière théorie, c’est que Vincent aurait abandonné ses idées d’investir sur des crypto-monnaies stables comme il l’annonçait à sa clientèle pour miser sur des actifs plus rapidement rentables mais forcément plus risqués.

Il faudra prendre son mal en patience pour connaître le fin mot de l’histoire ; un procès contre les dirigeants de RR Crypto devrait se tenir entre 2023 et 2025 d’après les estimations des avocats, où le Parquet pourra finalement rendre les conclusions d’une enquête complexe. Pour l’heure, Vincent Ropiot est placé sous protection judiciaire pour échapper à ses clients les plus virulents après avoir reçu des menaces de mort.  Qu’il s’agisse des anciens employés aujourd’hui au chômage ou des investisseurs aux poches retournées, on reste silencieux, sans doute écrasés par la honte de s’être fait duper comme un bleu.

 “C’était plus intéressant qu’un Livret A” se souvient Yoan. Pas trop finalement. Pour Claire, le fondateur de l’association a été dépassé par la cascade d’événements : “au début ça marchait et il s’est retrouvé noyé ; il a pris énormément de mauvaises décisions.” Si l’origine du mal partait sans doute de bonnes intentions, elles auront donc pavé la route de l’enfer qui s’est ouvert sous les pieds des clients de RR Crypto et de Vincent Ropiot, qui ne roulera plus jamais en Ferrari.

Texte : Loïc Baruteu // Illustration : Michaël Sallit