8 miles, les freestyles ghettos en sous-sol ? Scylla est né là-bas. Reconnaissable à sa grosse voix brute transmettant des textes poétiques, le rappeur Belge siège sur la scène rap depuis maintenant 10 ans. On a rencontré ce monstre lyrique, pote de Sofianne Pamart, aussi intimidant que touchant, que tu peux retrouver à la Vapeur de Dijon ce samedi 2 décembre.

Ça fait longtemps que t’es sur la scène du rap Belge, qu’est-ce qui a changé ces 10 dernières années depuis que le rap belge a explosé ? 

Je viens d’une génération de rap beaucoup plus rue. L’époque des freestyles dans les caves, c’est un peu cliché mais c’était à la 8 miles quoi. Avec des studios à 50 dedans avec une mixtape, c’est ghetto mais ça a tout son charme. C’était vraiment la passion, pas l’argent, on faisait même pas de clips à l’époque. Ce qui a changé avec la nouvelle génération, c’est qu’elle s’est structurée, et c’est fondamental. Après, y’a toujours des gens ultra passionnés qui ont cette mentalité de kiff pur. Mais c’est ça la grande différence, aujourd’hui on parle business direct, avant non.

Si t’avais pu choisir, tu aurais commencé aujourd’hui ou tu aurais refait le même parcours ?

Le même. Exactement le même. J’ai mis longtemps avant de comprendre que je pouvais faire de l’argent avec ma musique et que ça pouvait être mon métier. Mais j’ai vécu des moments incroyables. Après c’est vrai qu’il y a eu cette période de creux des années 2000, où c’était un peu la génération sacrifiée, mais moi c’est à ce moment-là que j’ai fait mes armes, mon parcours et que j’ai pris mon public.

On peut toujours avoir sa singularité, c’est vrai que j’ai jamais correspondu pleinement à une époque, j’ai toujours été un peu à côté de la tendance. Je fais mon truc et j’ai la chance d’avoir un public très fidèle. Mais je remettrais jamais mon parcours en question, franchement c’était magnifique. Ce qui est toujours beau aujourd’hui, c’est que 20 ans après avoir écrit mon premier texte, et 10 ans après mes premières scènes, j’suis toujours en ascension. C’est rare, souvent t’as une énorme explosion, c’est vertigineux, et à un moment tu peux faire que chuter. Moi ça va vers le haut, mais au fur et à mesure, cette année j’ai fait mon premier Olympia. Pour moi ça reste une aventure où je découvre toujours de nouvelles choses. Pour rien au monde je changerais ça.

« J’ai toujours donné de l’importance à la plume. »

À la première écoute on pourrait croire que ta singularité c’est ta grosse voix, mais en écoutant vraiment, je dirais que c’est plus ton hypersensibilité non ?

Je pense plus que c’est le contraste entre les deux. Moi je suis dans la force brute, presque animale dans mon rap, c’est très martial, j’aime ça. Je viens de là mais j’ai toujours donné de l’importance à la plume, j’ai toujours eu cet amour de chanson française, que j’ai intégré un peu malgré moi. Et on le voit avec la rencontre avec Sofiane Pamart, où c’est quelque chose qui a pu ressortir. J’avais déjà fait des morceaux avec cette hypersensibilité, mais avec Sofiane j’ai pu encore plus la développer parce que le piano s’y prêtait bien. C’est ça ma singularité, c’est ce contraste-là.

Écrire ça représente quoi à tes yeux ? 

Au début pour moi c’était thérapeutique, du coup c’était très mélancolique, on peut dire que ça l’est toujours aujourd’hui, mais j’essaie de mettre de la lumière dedans. Alors qu’à une époque j’voulais juste décharger ce que j’avais, même si c’était négatif. Et puis j’me suis rendu compte qu’à partir du moment où t’as des centaines voire des milliers de personnes devant toi tu peux plus faire ça, y’a une responsabilité.

« Tous les jours, j’ai quelqu’un qui me dit que je lui ai sauvé la vie. »

Mais surtout, c’est pas ça que je veux qu’on retienne, je veux essayer d’amener de la lumière dans ce monde, pas du négatif. Pis t’as des enfants. Tes enfants, t’as envie qu’ils sachent que t’es un mec positif, que t’as de l’espoir, et que tu veux transmettre ça au monde. Mais je fais aussi en sorte de pas trop m’auto-censurer ou de pas m’empêcher de parler de certaines choses.

J’ai souvent des retours de gens qui me disent “tu m’as aidé” ou “dans telle période de ma vie tu m’as accompagné”, après CHAQUE concert. Et tous les jours, sur les réseaux sociaux, j’ai quelqu’un qui me dit que je lui ai sauvé la vie. Moi j’trouve ça trop fort comme terme, et c’est m’accorder trop d’importance. C’est pas moi qui lui ai sauvé la vie. Mais visiblement, lui dans son processus, il me dit “sans toi je serais pas en vie”. Donc pour lui il y a eu un impact à un moment de ma musique, et quand tu sais que t’as ce genre d’impact là, tu réfléchis plus à ce que tu écris.

Donc j’essaie de faire une œuvre en mêlant tous ces critères là : pouvoir m’exprimer, que le morceau soit bon, bien écrit, bien composé, et puisse avoir mon impact sur le public. C’est pas le côté commercial qui va primer, c’est est-ce que ça peut toucher. Si j’suis toujours dans ce métier-là après tant d’années c’est qu’à chaque concert y’a vraiment du coeur.

« C’est les paroles les plus hardcores que les jeunes connaissent par coeur »

Est-ce que tu as grandi avec ton public ? Tu disais tal qu’il était fidèle, est-ce que tu l’as vu changé ?

Ouais y’en a qui viennent maintenant avec leurs enfants, mais y’a aussi les nouveaux entrants qui sont plus jeunes. Et c’est ça qui est beau, et qui m’étonne encore.

J’arrive sur la scène rap en 2008 avec des freestyles assez rageux. J’suis vraiment dans ce rap pur et dur, j’agrège déjà toute une communauté autour de moi à ce moment-là. Puis j’ai mes 1ers succès, je commence à aller en concert, c’est là que je vois que les gens, et que les paroles les plus hardcores c’est celles que les jeunes connaissent pas coeur. Et c’est là que je prends conscience et j’me dis “non, y’a une responsabilité derrière tout ça, et là c’est pas possible.” 1er tournant, j’reste dans le rap pur et dur, mais plus réfléchi et profond. J’suis en colère et je me pose des questions, ce qui donne le 1er album : Abysses. Après je rencontre Sofiane Pamart. Là je commence à creuser au niveau spirituel…et j’évolue vers Masque de chair, le 2ème album, moins torturé. Et après mes enfants arrivent, je fais des albums piano-voix avec Sofiane Pamart, on est plus dans la poésie, dans ce côté très contemplatif, même si y’a certains morceaux engagés.

Puis Éternel, le dernier album, qui a encore tout changé. J’ai rencontré un compositeur, Kando, et on est rentré dans un univers singulier et cohérent. Mais j’ai jamais fait plus hors format que ça. Et là j’me dis mais attends, au bout d’un moment le public il va plus rien comprendre. Et en fait malgré tout ils sont là, avec toujours plus d’attachement, donc ça me touche. 

Si tu as un mantra, qui t’aides depuis plusieurs années, cest quoi ? 

S: Que tout est une question de foi dans tout. Si tu regardes, n’importe quel artiste qui y arrive, souvent il croit en lui. Ou t’as une équipe forte qui croit en lui. Donc là, t’as un premier capital de foi qui agrège des gens autour de lui. Puis y’a des médias qui commencent à croire en lui. Ça draine un public de plus en plus large, qui commence lui aussi à croire en lui. C’est comme si tout le monde combinait son énergie de foi sur lui, et bam, c’est à ce moment-là que la personne explose.

Et quand tu regardes dans ta vie, peu importe le domaine, tout est toujours une question de foi dans ce monde. Ça c’est un truc que j’ai découvert dans ma quête spirituelle. J’suis pas du tout croyant de base, je le suis devenu par ce que j’ai expérimenté, ce que j’ai vu, vécu, observé, et ça c’est un truc de tous les jours. On est dans un monde incroyable, quand tu regardes ce dans quoi on vit, cette petite bille au milieu de l’espace infini. On oublie souvent ça, et pourtant il faudrait se le rappeler tout le temps.

Propos recueillis par Lieutenant D // Photos : DR.