À l’occasion de la 6e édition du festival des Chefs-Op en Lumière, Sparse a rencontré Jeanne Lapoirie, directrice de la photographie et invitée d’honneur sur le festival. D’André Téchniné à Catherine Corsini en passant par François Ozon, sa filmographie reflète sa passion pour l’image et ses qualités de chef-op…

Directrice de la photographie, quand on ne vient pas du ciné, ça peut être un peu flou… C’est quoi ce rôle typiquement sur un tournage ?

Un directeur de la photographie c’est celui qui est responsable de l’image. Là en France et dans mon cas, souvent ça veut dire faire le cadre, cadrer, et puis filmer donc. Mais aussi éclairer, et puis au-delà de ça c’est aussi être chef d’équipe de tout l’ensemble qui correspond aux machino, électro, assistant caméra… Et puis évidemment une grosse collaboration avec le metteur en scène, parce qu’on est une sorte d’interprète de sa vision. On est là pour remettre en image ce qu’il a dans la tête.

Tu peux nous parler un peu de ton parcours ? Tu as fait quelles études ?

A l’époque je me suis renseignée sur quelle école existait, et donc il y avait deux écoles publiques, l’IDHEC (Institut des hautes études cinématographique, ndlr) qui maintenant est devenue la Fémis, et puis Louis Lumière. Comme Louis Lumière formait plutôt des gens à l’image et qu’en plus le concours d’entrée correspondait mieux à mon profil suite à mes études scientifiques, j’ai passé ce concours là et j’y suis entrée. A l’époque c’était deux ans d’études parce que c’était un BTS, j’ai fait une année de fac de cinéma avant pour préparer le concours, et ensuite directement après l’école j’ai commencé à travailler. J’ai fait le parcours classique : deuxième assistant caméra, premier assistant caméra, puis chef-op au bout de 9 ans quand même je crois, donc c’était assez long.

Photogramme 120 Battements par minute, Robin Campillo, 2017

T’as une filmographie assez impressionnante, dont 3 nominations pour le César de la meilleure photographie (8 femmes, Michael Kohlhaas, 120 battements par minute). Tu as l’impression d’avoir accédé à une certaine reconnaissance dans le milieu ? Maintenant c’est les réalisateurs qui viennent te chercher ?

Oui, oui bon après ça a toujours plus ou moins été les réalisateurs qui venaient me chercher. Même pour mon premier long-métrage, qui était Les roseaux sauvages de Téchiné, c’est lui qui m’a proposé de le faire, en plus à l’époque où il me l’a proposé je n’avais rien fais et la production n’était pas vraiment pour prendre quelqu’un qui débutait, donc c’est quand même lui qui a insisté. Ensuite effectivement comme je suis quand même plutôt dans un cinéma d’auteur, c’est souvent les réalisateurs qui sont venus vers moi, parce que j’avais fait des films qu’ils avaient aimé. Maintenant ce sont aussi des productions qui me contactent mais plus généralement des réalisateurs.

Quand tu travailles sur un nouveau projet, ça se passe comment ? Tu te projettes beaucoup dans le visuel avant le tournage ?

Ça c’est toujours un peu flou, parce que la préparation, c’est la lecture du scénario, mais c’est aussi la rencontre avec un réalisateur, avec son univers, donc ce qui va en sortir au final, c’est une espèce de mix entre ce qu’il y’a écrit dans le scénario, de ce que le réalisateur va apporter, des repérages qu’on va trouver, des acteurs qui vont être là… Tout va influer et tirer le film dans un sens, c’est un mélange de tout ça, c’est vraiment dur à dire. Tout compte et s’auto-influence.

Le chef-op a une place vraiment importante parce qu’on participe tellement à la fabrication du film et à ce à quoi il va ressembler à la fin

On a l’habitude de voir des réalisateurs avoir leur chef-op fétiche, toi tu as travaillé à plusieurs reprises avec les mêmes cinéastes, et notamment beaucoup avec Catherine Corsini ou Valeria Bruni-Tedeschi. Bien connaitre sa réalisatrice, ça facilite le boulot, ou c’est un nouveau challenge ?

C’est un peu les deux. J’aime assez bien travailler avec des gens que je ne connais pas, toujours dans l’idée d’être un peu surprise, ça ne me dérange pas de travailler avec des nouvelles personnes. Après la collaboration avec les gens qu’on connait c’est assez confortable parce qu’on sait déjà, même si les réalisateurs changent et les projets évoluent. Valéria par exemple on a abordé ses films de façon différente à chaque fois parce qu’elle évoluait petit à petit, elle avait des nouvelles idées. Et de même pour les autres réalisateurs, Campillo c’est pareil on a fait plusieurs films, deux sur lesquels on a travaillé un peu de la même façon mais le troisième c’était très différent. Donc oui, c’est assez agréable, mais franchement les deux le sont autant. Des fois, quelqu’un qu’on ne connait pas, c’est bien aussi, ça vous emmène vers de nouveaux univers.

Photogramme Les roseaux sauvages, André Téchiné, 1994

Pourquoi c’est important d’avoir un festival comme celui-ci qui se développe ?

C’est vrai que les chef-op on en parle peu, c’est souvent les réalisateurs et les comédiens qui sont interviewés et mis en lumière plus que les opérateurs. Et c’est quand même un poste très important. Je pense que c’est bien parce qu’au niveau du public ou même des jeunes cela fait découvrir le métier, les gens le connaissent mal ; j’ai vu aussi qu’il y avait pas mal de scolaire dans le festival donc c’est bien pour eux, peut-être qu’ils vont repartir avec une idée de ce qu’est ce métier et qu’ils auront envie de le faire; je pense que pour ça c’est important, de plus en France il n’y en avait pas. Il y a un gros festival « Camerimage » en Pologne, le festival des frères Manaki en Macedoine, et maintenant ce festival ici à Chalon. Donc je pense oui que c’est très intéressant, même si je ne suis pas tellement quelqu’un qui recherche la mise en lumière. Pour moi ce qui est important c’est le travail que je fais sur les films avec les réalisateurs et c’est là où j’ai mon plaisir, mais je pense que c’est bien de partager, c’est aussi une façon de partager que ce festival existe.

Tu penses que y’a un problème de reconnaissance des métiers techniques dans le cinéma ?

Je pense qu’en fait les réalisateurs et les comédiens sont plus des gens agréables à écouter parler parce qu’ils sont peut-être moins introvertis que beaucoup de techniciens. Ils parlent peut-être mieux de leur métier et d’une façon peut être plus abordable pour le public. Souvent dans les métiers techniques, bien sûr il y en a qui savent bien en parler, mais il y a peut-être pas mal de gens qui ont moins de choses à dire, je ne sais pas. En tout cas il se trouve qu’on en parle un peu quand même maintenant, souvent on essaye de faire découvrir justement les métiers du cinéma qu’on ne connait pas tellement donc ça arrive de temps en temps, mais c’est surement moins glamour, en tout cas j’ai l’impression, que de faire parler des comédiens ou des réalisateurs.

Mais c’est aussi un autre angle. Le chef-op a une place vraiment importante parce qu’on participe tellement à la fabrication du film et à ce à quoi il va ressembler à la fin, donc à la mise en scène au découpage etc… C’est quand même une grosse partie de ce que va être un film. Et puis de voir sous cet angle via le boulot du chef-op comment se construit un film, c’est intéressant aussi. C’est vrai que souvent on demande au réalisateur comment s’est passé le film et aux comédiens comme s’est passé le travail avec le réalisateur mais c’est comme si on racontait qu’une moitié du travail. Et l’autre moitié c’est la mise en image, la création du film, et celle-là elle se fait beaucoup avec le reste de l’équipe sur le tournage. Donc je pense que même pour des gens qui veulent comprendre comment est un fait un film et comment travaille un réalisateur, c’est intéressant d’avoir le point de vue des chefs-op, ou des chefs déco, des ingénieurs du son, des mixeurs etc. Après c’est sûr que c’est peut-être des gens qui ont moins l’habitude de parler en public et qui peut être s‘expriment moins bien, je ne sais pas…

Photo de couverture et propos recueillis par Emma Sko // Photogramme : Jeanne Lapoirie